»Ethnopluralismus – Kritik und Verteidigung«
Le contrôle social par la Jeune-Fille en Occident
Le contrôle social par la Jeune-Fille en Occident
Alors que l’occident est sous contrôle psychiatrique-pathologique, belliciste-humanitaire, féministe-antiraciste, androphobe-russophobe et sociétal-transgenre, relisons ou découvrons un admirable ouvrage collectif (1) sur ce sujet instructif, la Jeune-Fille :
« La Jeune-Fille veut être “indépendante”, c’est-à-dire, dans son esprit, dépendante du seul ON. »
Oui, cet « on », ces « ils », ces indéfinis, qui ne font pas assez couler assez d’encre, en auront-ils fait couler du sang… Et regardez la guerre que May se prépare contre la Russie…
Tout comme une mauvaise demoiselle peut dans les romans du Graal dérouter le chevalier (2), la Jeune-Fille humanitaire, consumériste des temps postmodernes nous mène à de drôles de guerres psy :
« Sous les grimaces hypnotiques de la pacification officielle se livre une guerre. Une guerre dont on ne peut plus dire qu’elle soit d’ordre simplement économique, ni même sociale ou humanitaire, à force d’être totale. Tandis que chacun pressent bien que son existence tend à devenir le champ d’une bataille où névroses, phobies, somatisations, dépressions et angoisses sonnent autant de retraites, nul ne parvient à en saisir ni le cours ni l’enjeu. »
La Jeune-Fille (n’oubliez pas le tiret), c’est la guerre hybride du système pour arraisonner 95% des consciences :
« Paradoxalement, c’est le caractère total de cette guerre, totale dans ses moyens non moins que dans ses fins, qui lui aura d’abord permis de se couvrir d’une telle invisibilité. »
La guerre hybride serait-elle d’origine chinoise ? Amusons-nous sans Sun Tze :
« Aux offensives à force ouverte, l’Empire préfère les méthodes chinoises, la prévention chronique, la diffusion moléculaire de la contrainte dans le quotidien. Ici, l’endoflicage vient adéquatement relayer le flicage général et l’auto-contrôle individuel le contrôle social. Au bout du compte, c’est l’omniprésence de la nouvelle police qui achève de la rendre imperceptible. »
Le but est pour chaque conscience de devenir sa propre police (peau lisse) :
« L’enjeu de la guerre en cours, ce sont les formes-de-vie, c’est-à-dire, pour l’Empire, la sélection, la gestion et l’atténuation de celles-ci.
La mainmise du Spectacle sur l’état d’explicitation public des désirs, le monopole biopolitique de tous les savoirs-pouvoirs médicaux, la contention de toute déviance par une armée toujours plus fournie de psychiatres, coachs et autres “facilitateurs” bienveillants, le fichage esthético-policier de chacun à ses déterminations biologiques, la surveillance sans cesse plus impérative, plus rapprochée, des comportements, la proscription plébiscitaire de “la violence”, tout cela rentre dans le projet anthropologique, ou plutôt anthropotechnique de l’Empire. Il s’agit de profiler des citoyens… »
Il y a les asservis (clin d’œil à La Boétie, lisez notre texte) et les résistants :
« Les citoyens sont moins les vaincus de cette guerre que ceux qui, niant sa réalité, se sont d’emblée rendus : ce qu’on leur laisse en guise d’“existence” n’est plus qu’un effort à vie pour se rendre compatible avec l’Empire. »
Mais définissons la Jeune-Fille ; d’abord par ce qu’elle n’est pas :
« Entendons-nous : le concept de Jeune-Fille n’est évidemment pas un concept sexué. Le lascar de boîte de nuit ne s’y conforme pas moins que la beurette grimée en porno-star. Le sémillant retraité de la com’ qui partage ses loisirs entre la Côte d’Azur et ses bureaux parisiens où il a gardé un pied lui obéit au moins autant que la single métropolitaine trop à sa carrière dans le consulting pour se rendre compte qu’elle y a déjà laissé quinze ans de sa vie. »
Et qu’est-ce qu’elle est alors ?
« …la Jeune-Fille n’est que le citoyen-modèle tel que la société marchande le redéfinit à partir de la Première Guerre mondiale, en réponse explicite à la menace révolutionnaire. En tant que telle, il s’agit d’une figure polaire, qui oriente le devenir plus qu’elle n’y prédomine. »
En tant que fashion victimon s’en fout. C’est la jeune fille bio qui nous intéresse, qui donne la Suède, Barack-Hillary, May, Macron, Merkel et leurs croisades humanitaires, leur bolchevisme sociétal. L’équipe Tiqqoun explique (admirable texte collectif, une des rares aventures stylistiques récentes) :
« À mesure que le formatage jeune-filliste se généralise, la concurrence se durcit et la satisfaction liée à la conformité décroît. »
D’où ce bon vieux virage bio :
« Un saut qualitatif s’avère nécessaire ; l’urgence impose de s’équiper d’attributs neufs autant qu’inédits : il faut se porter dans quelque espace encore vierge. Un désespoir hollywoodien, une conscience politique de téléjournal, une vague spiritualité à caractère néo-bouddhiste ou un engagement dans n’importe quelle entreprise collective de soulagement de conscience feront bien l’affaire. Ainsi éclot, trait à trait, la Jeune-Fille bio. »
Faut être gentil alors (si tu veux la guerre prépare la paix, si tu veux être méchant, exige la gentillesse) :
« La Jeune-Fille prise la “sincérité”, le “bon cœur”, la “gentillesse”, la “simplicité”, la “franchise”, la “modestie”, et d’une façon générale toutes les vertus qui, considérées unilatéralement, sont synonymes de servitude. »
L’important est la soumission :
« La Jeune-Fille vit dans l’illusion que la liberté se trouve au bout d’une soumission totale à la “Publicité” marchande. Mais au bout de cette servitude, il n’y a que la vieillesse, et la mort. »
L’empire (le pire) contre-attaque et il est sur ses gardes (mégarde) :
« Contrairement à son ancêtre, la Jeune-Fille bio n’affiche plus l’élan d’une quelconque émancipation, mais l’obsession sécuritaire de la conservation. C’est que l’Empire est miné à ses fondements et doit se défendre de l’entropie. »
Après on fait du Merkel. On aime les LGTBQ ou les migrants, c’est les hommes et les Allemands qu’on déteste :
« La Jeune-Fille bio sera donc responsable, “solidaire”, écologique, maternelle, raisonnable, “naturelle”, respectueuse, plus autocontrôlée que faussement libérée, bref : biopolitique en diable. Elle ne mimera plus l’excès, mais au contraire la mesure, en tout. »
Succession d’aphorismes héraclitéens ou presque :
« Car la Jeune-Fille veut la paix du foutre.
La Jeune-Fille est le collaborateur idéal.
La Jeune-Fille conçoit la liberté comme la possibilité de choisir entre mille insignifiances.
La Jeune-Fille ne veut pas d’histoire.
La Jeune-Fille vise à la réglementation de tous les sens. »
Pauvre Rimbaud, encore un macho ! Et vive le dérèglement de tous les sens… interdits !
Par sa consommation et sa réglementation, la néo-nurse (cf. Chesterton) promeut la soumission :
« Dans le monde de la marchandise autoritaire, tous les éloges naïfs du désir sont immédiatement des éloges de la servitude. »
C’est que dans le monde américanisé (moderne), dit Chesterton (3), on n’aura pas plus de droits que dans une nursery (cf. Tocqueville qui devine vers 1830 qu’on sera « maintenus dans l’enfance ») :
« La violence avec laquelle la féminitude est administrée dans le monde de la marchandise autoritaire rappelle comme la domination se sent libre de malmener ses esclaves, quand bien même elle aurait besoin d’eux pour assurer sa reproduction. »
Evidemment pas question de râler (sinon on appelle les casques bleus, blancs, roses…) :
« La Jeune-Fille est le pouvoir contre lequel il est barbare, indécent et même carrément totalitaire de se rebeller. »
L’homme doit être rééduqué (c’est déjà fait, allez, dans les années 80 Kundera parla de cet arbre à enfantsqui remplace le paternel) :
« Il faudrait créer un grand projet éducatif (peut-être sur le modèle chinois ou khmer rouge), sous forme de camps de travail où les garçons apprendraient, sous l’égide de femmes compétentes, les devoirs et les secrets de la vie ménagère.»
Ce n’est plus la mère aux trousses, c’est le khmer aux trousses ! Mais continuons comme dirait Jean-Paul :
« Et de fait, lorsque la Jeune-Fille “fait tomber le masque”, c’est l’Empire qui vous parle en direct.
« ... et si on éliminait les mecs de la planète ? Pourquoi essayer de faire du neuf avec du vieux ? Y en a marre des mecs, allez ouste, du balai ! D’ailleurs inutile de s’énerver, historiquement, génétiquement, l’homme a fait son temps. Il se pousse tout seul vers la sortie. »
Le bonhomme a fait son temps, la Jeune-Fille androphobe l’entame…
L’épuration éthique règne dans le camp de déconcentration de ce déconcertant féminisme épurateur :
« Chaque Jeune-Fille est en elle-même une modeste entreprise d’épuration. Prises dans leur ensemble, les Jeunes-Filles constituent le corps franc le plus redoutable que l’on ait à ce jour manœuvré contre toute hétérogénéité, contre toute velléité de désertion. Parallèlement, elles marquent à chaque instant le poste le plus avancé du Biopouvoir, de son infecte sollicitude et de la pacification cybernétique de tout. »
Une phrase qui résume la philosophie de BHL (qui ressemble depuis longtemps à une vielle Jeune-Fille) :
« La Jeune-Fille n’aime pas la guerre, elle la fait. »
Enfin, comme pour parodier les vilaines chansons de Boris Vian, auteur et chanteur bobo, on liquide les ohms :
« MARRE DES MECS? PRENEZ UN CHIEN ! Vous avez quoi !? 18, 20 ans ? Vous entreprenez des études qui s’annoncent longues et ardues ? Croyez-vous que ce soit le moment de ralentir ce bel envol en cherchant désespérément de l’affection chez un garçon qui finalement n’a rien à donner ? Pire ! Vous affubler d’un compagnon, lui-même pas tout à fait fini, pas très gentil et pas toujours bien propre... »
On redéfinit la violence dans une sentence impeccable :
« Comme tout ce qui est parvenu à une hégémonie symbolique, la Jeune-Fille condamne comme barbare toute violence physique dirigée contre son ambition d’une pacification totale de la société. »
La société ludique est sécuritaire, comme le voyait Muray :
« Elle partage avec la domination l’obsession de la sécurité. »
Tout se militarise :
« Le caractère de machine de guerre qui frappe dans toute Jeune-Fille tient à ce que la façon dont elle mène sa vie ne se distingue pas de la façon dont elle mène sa guerre. Mais par un autre côté, son vide pneumatique annonce déjà sa militarisation à venir. »
Car la Jeune-Fille a déclaré la guerre à tout ou presque :
« La Jeune-Fille a déclaré la guerre aux microbes.
La Jeune-Fille a déclaré la guerre au hasard.
La Jeune-Fille a déclaré la guerre aux passions.
La Jeune-Fille a déclaré la guerre au temps.
La Jeune-Fille a déclaré la guerre au gras.
La Jeune-Fille a déclaré la guerre à l’obscur.
La Jeune-Fille a déclaré la guerre au souci.
La Jeune-Fille a déclaré la guerre au silence.
La Jeune-Fille a déclaré la guerre au politique. »
Enfin, pourquoi la tautologique Jeune-Fille incarne-t-elle la fin de l’histoire alors ? Parce que :
« LA JEUNE-FILLE A DÉCLARÉ LA GUERRE À LA GUERRE. »
Et les hommes dans tout cela ? Comme me disait en 2006 une serveuse à Mar del Plata, tandis que je polissais mes contes latinos, « ils se sont éteints, les hommes. »
Notes
(1) Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille, groupe Tiqqoun
(2) Nicolas Bonnal, Perceval et la reine, préface de Nicolas Richer (Amazon.fr)
(3) Chesterton – What I saw in America (Gutenberg.org)
UPCOMING: 'Guillaume Faye: Truths & Tributes' by Pierre Krebs, Robert Steuckers and Pierre-Émile Blairon
Roland Gori - La Fabrique des Imposteurs
"Un Dieu sauvage" de Bernard Rio
Par René Le Honzec
Ex: https://www.contrepoints.org
Dans les premières pages de ce roman-polar initiatique, on a l’impression d’assister à une réunion ministérielle face à cette épidémie dont vous avez entendu causer ces temps-ci.
Rassurez-vous, il n’en est rien, il s’agit du Conseil des Prêcheurs, entité gouvernante de la cité d’Albe des Gens d’En-Haut et de la capitale Urbi.
Et pourtant que de similitudes troublantes avec l’actualité de ce monde-ci dans cet ouvrage écrit bien avant la pandémie. Entrez dans le monde magique de Bernard Rio, auteur prolifique et arpentant toujours les sentiers d’un savoir ésotérique qu’il nous dévoile tout au long de ses ouvrages, cette fois sous la forme d’un étrange roman inscrit dans le temps et l’espace-temps.
En vingt-huit chapitres courts, denses et recouvrant les neuf mois de la gestation d’un dieu sauvage, l’auteur nous parle d’un monde quelque part après la Guerre, dont les vaincus, les Gens d’En-Bas vivent à Létavie, port des Frontières maritimes et obéissent aux lois de l’Ordre vainqueur des Prêcheurs dans une société où tout désordre est interdit.
Et pour contrôler cette population, une puce électronique dans l’auriculaire qui transmet à l’Ordre des médecins-prêcheurs toutes les informations garantissant leur domination et prévenant de tout éventuel trouble.
Les livres ont disparu des étagères comme des ordinateurs, interdits par ceux d’En-Haut, qui ont astreint les vaincus à l’amnésie par une loi d’analphabétisation pour leur bien. On est proche d’Orwell et encore plus d’un monde moins imaginaire, –suivez mon regard– dans lequel les librairies sont closes par décret, les individus contrôlés et enfermés pour préserver leur santé et surtout celle, politique, de leurs ministres.
Et c’est Senta, la petite tisseuse qui va déclencher innocemment par son art hors-normes un séisme qui va emporter cet ordre artificiel pour rendre tout possible dans le chaos et la paix retrouvée.
Mais il vous faudra faire aussi connaissance avec Béara, sulfureuse aubergiste haute en couleurs de la Ville d’en-bas, Andarta la bibliothécaire qui règne sur les archives des temps d’avant et Mata, la médecin élève du grand Rodarti, celui-là même qui se doit de contrôler par leur puce auriculaire les esclaves que les caméras suivent partout, lui-même surveillé par son supérieur Namanto.
Tous deviennent fauteurs de troubles, chacun à sa manière, les quatre femmes pressentant dans des phénomènes perturbant l’ordre et la morale des promesses de liberté.
Car la Mort intervient, accompagnée par un homme aux diverses apparences et à l’occasion à la tête d’une meute de 50 molosses à la robe blanche et la gueule rouge.
Et si l’histoire prend une allure de polar au fil des cadavres qui bouleversent le docteur Rodati et inquiètent son supérieur Namanto puis affolent tout l’Ordre des Prêcheurs, le lecteur éclairé y décéléra les mythes antiques qui s’inscrivent dans une réflexion contemporaine : le devenir de l’Homme dans un monde totalitariste et ses capacités de survie, d’évasion et de liberté.
La révolte des femmes est métaphysique et suit les voies du sacré, évolution acceptée qui ne cherche pas à nier ou à tuer Dieu mais à intégrer et à manifester une part d’éternité.
La Nature omniprésente (l’auteur est un fin connaisseur des bêtes et des plantes) n’est pas que décor et réveille les sentiments, les pensées, les réflexions.
Il y a du lourd dans cette littérature au style léger d’une belle écriture originale, avec des envolées de poésie celtique que l’on dit universelle, qui ne peut que nous inciter à regarder ce monde d’un œil critique en se remémorant ce qu’écrit le poète : « Il y a trop de grands hommes dans le monde ; il y a trop de législateurs organisateurs, trop de gens se placent au-dessus de l’humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s’occuper d’elle ».
- Bernard Rio, Un dieu sauvage, Éditions Coop Breizh, 207 pages.
David Goodhart: les têtes, les mains, le coeur
David Goodhart: les têtes, les mains, le coeur
Head Hand Heart
The Struggle for Dignity and Status in the 21st Century
David Goodhart
Allen Lane, 368 p.
Ex: http://www.micheletribalat.fr
En 2017, David Goodhart publiait The Road to Somewhere[1] qui fut traduit en français en 2019 aux Arènes. L’éditeur français a été plus prompt cette fois puisque la traduction française sort deux mois seulement après la parution anglaise sous un titre reprenant littéralement le titre anglais. En ce qui me concerne, j’avais déjà acquis et lu la version anglaise. C’est donc à partir de celle-ci que je vais essayer de donner une idée du livre. Des extraits ont été publiés dans Le Figaro Vox et les pages Débats du Figaro du 6 octobre 2020[2]. Ce livre est un approfondissement d’un chapitre du précédent qui traitait de la « méritocratie héréditaire ».
Après bien d’autres, d’ailleurs cités par l’auteur (y compris Charles Murray[3] d’habitude oublié ou cité avec des pincettes), David Goodhart met en cause la hiérarchisation actuelle des sociétés occidentales en termes d’avantages et de statut, à laquelle a conduit l’économie de la connaissance. Celle-ci, fondée sur une méritocratie cognitive, a abouti à la formation d’une classe cognitive puissante qui façonne la société dans son propre intérêt en valorisant la mobilité sociale et géographique. Il retrace ce qui a conduit à la prise de contrôle de la société par la classe cognitive au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, mais aussi plus succinctement en Allemagne et en France, s’interroge sur les tendances futures des besoins économiques compte tenu de la robotisation et esquisse quelques suggestions pour rééquilibrer la considération et le statut attachés aux métiers manuels et du soin par rapport aux métiers intellectuels.
Le privilège cognitif
La priorité affectée par les politiques à l’éducation supérieure de type universitaire et généraliste a dessiné un sens unique vers la réussite. Pourtant, jusqu’au milieu du XXème siècle, les diplômes ont joué un rôle mineur dans la réussite économique et professionnelle. Sans avoir suivi un enseignement supérieur, on pouvait progresser dans sa carrière.
Le biais anti-technique était très fort en Angleterre, contrairement à l’Allemagne. En 1873, c’est Oxford et Cambridge qui administraient les examens du secondaire. Mais le nombre d’adultes ayant fait de longues études est resté longtemps trop petit pour exercer une influence significative. Puis, tout particulièrement au Royaume-Uni et aux États-Unis, l’orientation vers une économie post-industrielle a fait de l’enseignement supérieur la voie royale pour développer la finance, l’innovation et les services. Du temps de Margaret Thatcher, l’apprentissage était très mal vu car jugé trop protectionniste et destiné à des emplois voués à disparaître.
La prédominance des facultés cognitives a été favorisée par l’élaboration de moyens pour les mesurer (tests de QI), tout particulièrement aux Etats-Unis où ils furent importés dans l’éducation par l’institutionnalisation des Scholastic Aptitude Test (SAT), après un usage massif dans l’armée lors de la 1ère guerre mondiale. La composante génétique de l’intelligence reste aujourd’hui très débattue, malgré les progrès énormes accomplis par la recherche sur le sujet, avec des chercheurs qui préfèrent travailler dans l’ombre que sous la lumière. Dans son dernier livre, Charles Murray remercie ceux qui ont bien voulu en relire des passages sans citer leur nom pour ne pas leur causer du tort ![4] David Goodhart retient ce qu’écrivent « la plupart » des scientifiques travaillant sur l’intelligence cognitive : la moitié des différences serait d’ordre génétique, l’autre moitié tiendrait à l’environnement.
C’est la sélection croissante, au cours de 70 dernières années, sur les performances cognitives dans l’éducation supérieure qui a abouti à la création d’une classe cognitive, renforcée aujourd’hui par l’endogamie cognitive (combinant héritage génétique et ressources pour l’éducation), rendue plus facile avec l’accès croissant des femmes à l’éducation supérieure. Dans Coming Apart , Charles Murray avait montré que Princeton et Yale accueillaient plus d’étudiants provenant du dernier centile que des 6 premiers déciles de revenu.
N’oublions pas non plus que la focalisation extrême sur les capacités cognitives tient aussi au climat du suspicion généralisée de biais, conscients ou non, dans les admissions universitaires et dans l’entreprise.
Les revers de la diplômanie dans l’économie…
Les politiques qui cherchent à combiner – c’est particulièrement visible aux Etats-Unis et au Royaume-Uni – une massification de l’enseignement supérieur et une sélection de l’élite, ont privilégié cette dernière. C’est vrai dans ces pays avec leurs universités d’élite – Ivy League aux Etats-Unis et Russel Group au Royaume-Uni - mais aussi en France avec ses grandes écoles qui n’accueillent que 3 à 4 % des étudiants mais reçoivent 30 % du financement de l’éducation supérieure.
La massification a réduit la valeur des diplômes et provoqué une surenchère. Là où une maîtrise suffisait, il faut maintenant un doctorat. Le diplôme du supérieur est devenu, pour les employeurs, plus un signal sur les compétences sociales (application, concentration, aptitude au travail collectif…) qu’une garantie d’ acquisition de savoirs utiles. Comme l’écrit David Goodhart, il existe sans doute d’autres moyens d’acquérir ces compétences sociales que d’envoyer les jeunes trois ans à l’université. Et, ajoute-t-il, il faut parfois se débarrasser des mauvaises manies qu’on y a acquises. Il en va ainsi du journalisme : « écrire dans une prose simple et directe et apprendre à mettre en avant les faits les plus intéressants d’une histoire peut s’avérer incroyablement difficile après trois ans d’absorption du discours postmoderne. » (traduction personnelle).
La course au diplôme a asséché l’intelligentsia ouvrière et poussé vers le bas les moins diplômés, dont, d’après l’OCDE, les salaires relatifs baissent depuis les années 1980.
Elle a entraîné des déséquilibres géographiques en drainant vers les grandes métropoles les plus brillants et les plus riches. Au Royaume-Uni, ce déséquilibre a été aggravé par la pratique de l’internat et par l’effet Londres. L’entre-soi est tel que peu de liens survivent après le lycée. Evidemment, seul les jeunes des milieux défavorisés en ayant les capacités devraient être encouragés à aller dans les universités d’élite. La volonté d’étendre l’université à tous et les discours sur la mobilité sociale sont une forme de narcissisme : « soyez comme nous ! ».
Cette frénésie pour les diplômes a créé un effet de troupeau chez les employeurs. Aujourd’hui, au Royaume-Uni, un tiers des policiers sont diplômés du supérieur (contre 1,6 % en 1979) et, en Angleterre-Galles, le College of Policing a annoncé que tous les nouveaux officiers de police devraient avoir un diplôme du supérieur pour augmenter les capacités de la police à recruter des gens « vraiment bien ».
La diplômanie a bouché l’horizon des peu diplômés en leur fermant la porte à l’avancement interne. Et des nouvelles recrues plus diplômées ont poussé vers le bas des gens meilleurs qu’elles. Ajoutons à cela l’arrivée des femmes au cours des trente dernières années dans les emplois diplômés, alors que travailleurs manuels masculins ont été les grands perdants de la montée de l’économie du savoir.
Et en politique
Si, au 19ème siècle, les dirigeants étaient choisis parmi les mieux éduqués, ce n’était pas la source de leur pouvoir. Ils le tiraient de leur classe sociale et de leurs biens. Au Royaume-Uni, en 1964, les diplômés du supérieur étaient encore minoritaires au Parlement. Aujourd’hui, le niveau éducatif des politiques diffère beaucoup de celui des citoyens. Aux partis, syndicats, églises enracinés dans des communautés se sont substitués les ONG, les forums de discussion unis par une communauté d’idées. Si c’est plutôt bien d’avoir au pouvoir des gens diplômés, le problème est qu’ils ont tendance a confondre leur propre intérêt avec le bien commun et qu’ils voient trop souvent leurs concitoyens peu diplômés comme des arriérés irrationnels. De nombreux sujets, comme l’immigration, ont été retirés de l’arène démocratique et les décisions prises en dehors (banque centrale, arrêts juridiques, bureaucratie) le sont en fonction des priorités de la classe cognitive. Une enquête de Yougov en 2019 a montré que 80 % des parlementaires britanniques pensent qu’ils sont élus pour exercer leur jugement personnel quand 63 % des électeurs pensent que les parlementaires devraient agir en fonction des souhaits des électeurs. Seulement 7 % des électeurs pensent que les parlementaires devraient exercer leur propre jugement. Il faudrait donc parvenir à une représentation plus diversifiée.
Déclin des travaux et qualifications manuels
Le statut des travailleurs manuels n’a pas toujours été aussi bas. Dans les 70 1ères années du XXème siècle, les travailleurs manuels méprisaient les cols blancs, même si les mères rêvaient d’un emploi de bureau pour leurs enfants. Ensuite, le travail manuel est devenu impopulaire et ringardisé sous l’effet de l’attraction de l’université. Au Royaume–Uni, nombre de ces emplois ont été pris pas des étrangers venus ces quinze dernières années des nouveaux pays entrants dans l’UE (Pologne surtout). S’il n’y a pas à regretter la disparition d’emplois très pénibles, le déclin des compétences manuelles et pratiques dans la population n’est pas forcément un progrès. Et, comme l’avait anticipé Daniel Bell dans ses écrits sur la société post-industrielle, la progression du statut des travailleurs intellectuels s’est accompagnée d’une routinisation et d’une perte d’autonomie vers le bas de la pyramide hiérarchique. Pour David Goodhart, le déclin du salaire relatif, la perte de sens et d’autonomie au travail, conjugués à très peu de perspectives d’avancement font de la perte de statut des non diplômés du supérieur un fait social majeur.
Dévalorisation des compétences dans le soin
La plupart des économistes ne s’intéressent pas à l’éducation des enfants et aux soins des personnes âgées dans la sphère privée car cela n’entre pas dans le calcul du PIB. Des féministes y voient un piège et une oppression. Et les politiciens ont tendance à n’écouter que les femmes du haut de la pyramide sociale qui sont remontées contre les tâches domestiques.
L’économie du soin a un double problème : il est de moins en moins attractif et ceux qui y travaillent s’en vont, souvent désenchantés. Les hommes, particulièrement ceux qui ont un faible statut, ont perdu, sans pouvoir rien mettre à la place, leur rôle principal qui était celui de gagner l’argent de la famille. Un nombre disproportionné de métiers qui ne peuvent être automatisés sont traditionnellement occupés par des femmes, métiers qui n’attirent pas les hommes. Daniel Susskind, dans A World Without Work, publié en 2020, rapporte les résultats d’une enquête au Royaume-Uni selon laquelle « la plupart des hommes qui ont perdu leur emploi industriel préfèrent ne pas travailler que de prendre un “pink collar work” » (traduction personnelle).
Ce que nous réserve l’avenir
Les perpectives d’évolution du marché du travail dessinent une pyramide dans laquelle il y aura moins de place en haut. À l’âge des robots, on n’a besoin que d’un très petit nombre de gens très intelligents dans les technologies de l’information. Pour Phil Braun et Hugh Lauder, la nouvelle hiérarchisation devrait comporter trois fonctions : 1) les développeurs, autorisés à penser, qui devraient représenter 10 à 15 % d’une organisation professionnelle ; 2) les démonstrateurs formés de diplômés déqualifiés qui exécutent et mettent en œuvre les connaissances existantes (bien communiquer sera leur principale fonction) ; 3) ceux qu’il appelle des drones et qui accomplissent des taches monotones et répétitives. Une économie qui aurait toujours plus besoin de diplômés du supérieur, idée qui plaisait tant aux économistes et aux politiques parce qu’elle semblait résoudre à la fois le problème économique et celui de l’équité, ne sera pas la solution. La valeur de signal des diplômes devrait baisser auprès des entrepreneurs qui pourraient se tourner plus vers l’apprentissage.
Les propositions de David Goodhart à débattre
Si la société occidentale a été dominée dans les deux dernières générations par des forces centrifuges qui ont étendu la liberté individuelle mais affaibli les liens collectifs, des tendances récentes et la pandémie du Covid-19 suggèrent que nous entrons dans une phase centripète, avec une consolidation de l’État national et une ouverture économique et culturelle plus limitée.
S’il faut préserver les procédures de sélection méritocratiques, il faut aussi veiller à répartir respect et statut plus équitablement en élargissant les sources de réussite et en élevant le statut de ceux qui ne vont pas à l’université. Les dernières recherches sur les capacités cognitives pourraient nous y aider. Une étude menée à l’université Carnegie Mellon aux États-Unis définit trois types de styles cognitifs : la verbalisation (journalistes, avocats…) ; la visualisation spatiale (ceux qui pensent analytiquement : ingénieurs, mathématiciens…) ; la visualisation des objets (artistes…) qui ont tendance à penser un contexte plus large. Mais la diversité doit aussi s’appliquer aux idéologies et valeurs politiques.
Pour réduire les inégalités, David Goodhart suggère diverses taxations et moyens de réduire les rentes de ceux qui sont entrés les 1ers dans l’univers digital. Mais aussi le recours au déshonneur public des PDG qui se goinfrent abusivement. Un exemple : depuis 2020, toutes les entreprises britanniques de plus de 250 salariés doivent publier le ratio entre la paye du PDG et la paye moyenne du salarié de l’entreprise. Pour réduire les fractures géographiques, il propose diverses interventions publiques, comme l’investissement dans les centres villes pour que les pauvres puissent s’y maintenir. Il faut, dit-il, subventionner ceux qui restent (par exemple un Pub local pour lui éviter de fermer).
Il faut, écrit-il, revaloriser les métiers du soin. Symboliquement, l’inclusion du travail à la maison dans le PIB, s’il ne rend pas plus riche, pourrait contribuer à valoriser les activités domestiques. Il faut aussi attirer plus d’hommes dans ces métiers, peut-être en introduisant une forme de discrimination positive accompagnée d’une révision des appellations de métiers (infirmière par exemple) et une automation qui les rendrait plus attractifs. En capitalisant sur l’expérience du Covid-19, pourquoi ne pas créer une « armée de réserve » pour la santé, composée de gens ayant des formations basiques, écrit-il ? Pour revaloriser une forme d’artisanat, il propose d’obliger les jeunes à détenir, à 18 ans, une qualification manuelle (de la menuiserie au codage). Ce serait une sorte de service civique dispensé dans des centres dédiés, qui serait l’occasion d’un brassage social et ethnique et viendrait en plus d’une diversification des parcours à l’école et après l’école valorisant les trois H du titre du livre de David Goodhart.
[1] Notes de lecture ici : http://www.micheletribalat.fr/436804830.
[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/les-extraits-du-livre-evenement-de-l-essayiste-britannique-david-goodhart-20201005.
[3] Pour son livre Coming Apart, publié en 2013 (pour un commentaire voir http://www.micheletribalat.fr/434724335). Le dernier livre de Charles Murray, Human Diversity, a été publié en janvier 2020, trop tard pour que David Goodhart intègre ses analyses, ce qui lui aurait été bien utile sur tout ce qui touche à l’intelligence et au QI. Dans ce livre, Charles Murray fait le tour des études, y compris les plus récentes, sur le sujet.
[4]“I am a controversial fugure. The last thing a geneticist or a neuroscientist working on college campus needs is to be thanked by me.”
La résistible ascension des "Villageois planétaires"
La résistible ascension des «Villageois planétaires»
par Daniel COLOGNE
Conscients de l’obsolescence des clivages politiques et socio-économiques (Droite – Gauche, bourgeoisie – prolétariat), certains chercheurs proposent des nouvelles lignes de démarcation, culturelles, métapolitiques, voire anthropologiques. David Goodhart suggère une distinction entre les « Partout » (anywhere) et les « Quelque Part » (somewhere), et à l’intérieur de ces deux clans des sous-groupes extrémistes : les « Villageois planétaires » et les « Autoritaristes endurcis ».
Les pages qui suivent s’inspirent largement du livre de Goodhart. Je reprendrai désormais ces expressions sans mettre les guillemets. Quant à l’adjectif « résistible », il renvoie à Bertolt Brecht et à sa pièce La résistible ascension d’Arturo Ui. Il importe en effet de s’interroger sur la domination grandissante des types humains Partout et Villageois planétaires et sur la possibilité de la freiner ou d’y mettre un terme à la faveur d’une « noomachie » conduite par un « bloc contre-hégémonique », pour reprendre les termes d’Alexandre Douguine (1).
Goodhart s’appuie sur les résultats d’enquêtes et de sondages. Certes, les statistiques comportent une part d’« illusion » inhérente au « règne de la quantité » (René Guénon). Mais les chiffres qui parsèment le livre correspondent assez bien aux tendances actuelles telles que les ressentent nos lectrices et lecteurs. Ils rejoignent mon propre ressenti pour les trois pays d’Europe francophone où j’ai vécu et pour les soixante dernières années. Goodhart cite d’ailleurs des travaux effectués en Suisse, ainsi que des recherches menées aux États-Unis. La portée de son ouvrage dépasse largement le cadre du Royaume-Uni.
C’est au seuil de la cinquantaine que je découvre Internet après avoir grandi avec un père représentant pour un fabricant de papier carbone. Je suis un produit de l’exode rural, un fils d’immigrés wallons venus s’installer à Bruxelles en février 1940. Après la traite des Noirs et avant les vagues migratoires issues successivement des rives Nord et Sud de la Méditerranée, le dépeuplement des campagnes constitue une des formes d’arrachement des Quelque Part à leur milieu ancestral pour en faire des Partout aux yeux desquels on fait miroiter le prétendu El Dorado citadin.
En moins de deux décennies, certains vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont perdu leurs empires (2) ultra-marins. Ce paradoxe a marqué la génération des enfants nés vers 1950. Chez ceux qui se sont assimilés au clan des Partout, on observe une sorte de culpabilité post-coloniale et le désir d’imposer une « relecture flagellatrice » de l’histoire européenne, selon l’excellente formule d’un rédacteur d’Éléments.
Dans la revue Culture Normande (3), Didier Patte distingue « la notion idéologique de colonialisme » et « la réalité certes ambiguë de la colonisation ». Entre les deux persiste une « équivoque soigneusement entretenue ». Certes, la colonisation est riche en excès et abus en tous genres, mais elle a aussi permis la construction d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures routières et ferroviaires, comme l’a souligné l’acteur Roger Hanin peu avant son décès. Les Européens d’aujourd’hui n’ont pas à battre leur coulpe pour des exactions commises par leurs ancêtres issus de cinq ou six pays (4) riverains de l’Atlantique et de la Mer du Nord. Goodhart considère l’enseignement supérieur universitaire comme le principal foyer de gestation de la mentalité des Partout et des Villageois planétaires. Il note cependant qu’une fraction de la jeunesse semble avoir déjà basculé dans le clan des Partout avant même son entrée à l’université. Cela n’est pas surprenant pour qui se remémore le tourbillon de réformes qui s’est abattu, dans les années 1970, sur les études secondaires.
Jusqu’en 1965, j’ai vécu toute ma scolarité dans un régime ultra-directif, et ceci malgré la variété de la coloration idéologique des écoles : cycle primaire dans un établissement communal d’orientation socialiste, un premier athénée dirigé par un franc-maçon notoire et un second athénée à la tête duquel se trouve un préfet membre des Scriptores Catholici. Même après Mai 68 et ses assemblées libres peu mouvementées – il est vrai – en comparaison des événements parisiens, les stages de l’Université de Bruxelles en vue d’obtenir l’agrégation restent marqués par une pédagogie autoritaire. Nous sommes alors en 1969.
Mais lorsqu’en février 1972, après un passage dans une école privée (non confessionnelle) de Genève j’entre dans l’enseignement officiel du canton, la découverte d’une pédagogie laxiste et permissive constitue un choc que je vis assez mal. À Genève sévissent alors ceux qu’Éric Zemmour appelle les « pédagogistes » : des concepteurs de bureau qui élaborent des théories sacrifiant toute forme de discipline sur l’autel de la « créativité », mais qui ne se confrontent jamais aux classes de vingt-cinq adolescents guettant la première occasion de perturber le cours.
Dans toute l’Europe francophone apparaît brusquement « rénové », c’est-à-dire en rupture avec l’autorité magistrale, les techniques de dressage (Roland Barthes qualifie l’orthographe de « fasciste »), l’enracinement dans l’histoire nationale et l’apprentissage des langues anciennes (latin, grec). On retrouve dans la mentalité des Partout cette hantise de la « réalisation de soi » au mépris de toute règle contraignante, de toute référence au passé et de tout sentiment d’appartenance à une communauté organique.
Avant d’examiner comment ces Partout deviennent des Villageois planétaires au contact du monde universitaire, soulignons que les pédagogies non-directives inaugurent, pour le demi-siècle suivant, une série de bouleversements sociétaux qui désarçonnent les Quelque Part en raison de leur rapidité et de leur cumul relayé par les media : dépénalisation de l’avortement et de l’euthanasie, abolition de la peine de mort, mariage pour tous, GPA, PMA. Alors que chacune de ces mesures nécessite une approche singulière et un long temps de réflexion, nous sommes désormais tenus de les accepter en bloc, sans réserve ni délai, sous peine d’être traités de réactionnaires. Il en résulte un « retour de bâton », un « puissant contrecoup » qui génère les « Autoritaristes endurcis ». Goodhart se réfère ici à sa collègue Karen Stenner, titulaire d’un doctorat en psychologie politique, qui a parfaitement saisi cette dialectique des extrêmes analogue au binôme alchimique solve – coagula (dissolution – durcissement).
Contrairement à ce qu’affirme Goodhart à propos de l’enseignement supérieur, le système des campus résidentiels (un internat jouxtant les salles de cours et les amphithéâtres) n’est pas une exception britannique. Dans la région liégeoise, où je vis depuis 2015, je connais au moins trois hautes écoles doublées d’un pensionnat. En outre, toutes les villes universitaires belges renferment un important parc immobilier de logements estudiantins (en Belgique on les appelle les kots). La pratique de la colocation (à deux ou à plusieurs) est fréquente et favorise les contacts inter-culturels et inter-ethniques.
À l’époque où j’étudiais à l’Université de Bruxelles, il y avait deux cités universitaires : l’une pour les garçons au cœur du campus, l’autre pour les jeunes filles légèrement en dehors. Ainsi pouvaient déjà se côtoyer, vers 1970, des jeunes provenant de toutes les provinces du Royaume. Le programme Erasmus, d’abord à l’échelon européen, puis au plan mondial, accentue ensuite cet élargissement des horizons et l’impression que « le monde est un village », pour reprendre le titre d’une émission créée par la radio belge francophone en 1998. « La massification de l’enseignement supérieur », l’émergence d’un « secteur universitaire hypertrophié » : voilà des phénomènes qui remontent aux années 1960, vont de pair avec une disqualification du travail manuel et ipso facto avec l’immigration fournissant au patronat une armée de réserve, une classe ouvrière de rechange.
Depuis 1953, dans le quartier où mes parents font construire leur maison, les immeubles poussent comme des champignons grâce à des maçons italiens. Une décennie plus tard, c’est un chauffeur originaire d’Oujda qui m’emmène de Molenbeek au campus situé à l’autre bout de la capitale. Sans omettre l’importance de la communauté turque dans des communes comme Saint-Josse ou Schaerbeek, ainsi que dans certaines régions wallonnes, c’est l’accord belgo-marocain de 1964 qui constitue le principal fondement de la politique belge d’immigration. L’immigration est une des « pommes de discorde » entre les deux clans et a fortiori entre leurs sous-groupes extrémistes.
Sans faire la moindre concession au politiquement correct, Goodhart analyse le problème avec sérénité et ne jette jamais de l’huile sur le feu. En conclusion, il espère même la réconciliation des deux clans qui sont « les deux moitiés de l’âme politique de l’humanité ». Il faut néanmoins pointer du doigt quelques grossières erreurs de politique migratoire, en Belgique comme en France. Le regroupement familial, qui reconstitue chez les immigrés, sinon la tribu, au moins ce que les ethnologues appellent la « grande famille », est autorisé au moment même où notre famille « nucléaire » (noyau père – mère – enfants) commence à se décomposer.
De surcroît, cette mesure coïncide avec le début des réformes sociétales signalées plus haut et propres à heurter l’atavisme musulman de ces populations, à le réveiller sous des formes « Autoritaristes endurcies ». De nombreux jeunes Belges d’origine marocaine fréquentent aujourd’hui les universités. Des jeunes filles voilées entreprennent des études aussi diverses que le droit, le commerce, la logopédie ou la biologie médicale. On a voulu en faire des Partout mais elles semblent rejoindre les rangs des Quelque Part dans l’adhésion à un certain conservatisme.
Selon Goodhart, ce phénomène concerne aussi une partie de la jeunesse autochtone, celle qu’il nomme la « génération Z » (jeunes filles et garçons nés après 2001). Cela donne l’espoir d’une résilience face au traumatisme de la « grande libéralisation » qui, depuis une quarantaine d’années, se présente volontiers comme un processus aussi irréversible que la succession des saisons. Après tout, parmi les 7,3 milliards de Terriens, « à peine plus de 3 % vivent hors de leur pays de naissance ». Dans ces 200 ou 250 millions de personnes, beaucoup se situent dans une zone intermédiaire entre les deux clans. La planète est donc gouvernée par une minorité de Partout et de Villageois planétaires : nouvelles élites « créatives » de l’Occident post-moderne et milliardaires émergents de l’ancien Tiers Monde.
Les « secteurs » et les « milieux » de la « création » sont, selon Goodhart, avec les universités et la caste médiatique, les plus importants fournisseurs de Partout et de Villageois planétaires. Le flou qui entoure la notion de « création » constitue à mon avis le seul point faible du livre de Goodhart. Je suppose qu’il utilise le mot « création » dans une acception large, non limitée aux arts et aux lettres. Je présume qu’il envisage aussi toute l’industrie du divertissement : tourisme, mode, sport, cinéma, variétés. J’espère pouvoir l’un ou l’autre article à l’application de la grille de lecture de Goodhart dans certains domaines sportifs (5) ou dans le secteur de la chanson française « à texte » (6).
Je recommande tout spécialement, dans le livre de Goodhart, la lecture de la page 251. L’auteur y développe une critique de l’égalitarisme qui repose sur la distinction entre l’équité et l’équivalence. Les sondages montrent que les Quelque Part acceptent les réformes sociétales de la « grande libéralisation » dans la mesure où les circonstances les rendent équitables : par exemple, refuser l’avortement de confort, mais tolérer l’interruption volontaire d’une grossesse non désirée. En revanche, l’équivalence est érigée en dogme par les Partout qui considèrent que l’enseignement ne doit pas « remplir les cerveaux », mais « libérer ce qui s’y trouve déjà ». En d’autres termes, n’importe qui est capable de faire n’importe quoi en n’importe quel moment ou endroit. Cette vision du monde est à rebours de la conception du « temps qualifié » développée par Jean Phaure dans le sillage de René Guénon qui, de son côté, parle des « déterminations qualitatives de l’espace ». Ici s’impose également un renvoi à Julius Evola et à son chapitre « L’Espace, le Temps, la Terre » dans Révolte contre le monde moderne.
Comme les Partout et les Quelque Part de Goodhart, les « races de l’esprit » d’Evola reposent sur des visions du monde transversales qui dépassent le sfractures sociales ou ethniques. Un compromis est-il possible entre les deux clans ? Il faudrait pour cela « que les Partout cessent de prendre de haut les Quelque Part, blancs ou non, qu’ils apprennent à accepter la légitimité d’opinions contraires ». Les Quelque Part devraient se rendre compte qu’ils « ne peuvent pas exercer le pouvoir politique en braillant des insultes depuis le banc de touche – se sentir pris de haut n’est pas une raison suffisante pour porter un démagogue inexpérimenté à la présidence ».
telle pourrait être une conclusion respectueuse de l’état d’esprit de David Goodhart toujours ouvert au dialogue. Mais l’éventualité d’une « fracture » non résorbable n’est pas à exclure. Il y aurait alors, d’un côté, la mondialisation « sans racines et où plus rien n’est sacré », l’idéologie des Villageois planétaires où se dissoudraient les identités locales, nationales et continentales. En face se dresserait un « bloc contre-hégémonique », parfois exempt de durcissements monolithiques. Ce serait une sorte de fédérations d’empires se respectant les uns les autres, bâtis sur les affinités ethniques de leurs populations et renouant avec leur héritages spirituels. Ainsi serait l’Europe dans ce « nouvel ordre de la Terre » : un Phénix renaissant des cendres de l’Union européenne, un « empire sans impérialisme », selon la belle formule que nous a malheureusement confisquée Manuel Barroso.
Daniel Cologne
Notes
1 : Voir dans Synthèse nationale (numéro d’hiver 2020), la recension de deux livres d’Alexandre Douguine par Georges Feltin-Tracol. Selon l’étymologie grecque, « noomachie » signifie « combat spirituel ».
2 : Cet impérialisme moderne n’a rien à voir avec l’idée traditionnelle d’imperium développée par Julius Evola.
3 : n° 66, février 2020, p. 28.
4 : Aux cinq grandes puissances coloniales d’Europe occidentale, j’ajoute la Belgique qui, avant de coloniser le Congo sous Léopold II, avait déjà des vues sur la Chine et le Guatemala sous Léopold Ier.
5 : Il est clair que l’« arrêt Bosman » (1995) a fait basculer le football du clan des Quelque Part au clan des Partout. Le joueur liégeois Jean-Marc Bosman s’est vu refuser un transfert à Dunkerque et a saisi la Cour européenne de justice qui lui a donné raison au nom de la libre circulation des travailleurs dans l’UE.
6 : On peut observer chez Brel, Aznavour, Nougaro et bien d’autres un mélange de Quelque Part et de Partout. Nougaro est sublime quand il célèbre sa ville natale de Toulouse mais, par ailleurs, il dénie à la race blanche l’aptitude à l’élan mystique :
« Quel manque de pot
Je suis blanc de pot
Rien ne luit là-haut
Les anges zéro
Je suis blanc de peau. »
On retrouve ici le complexe de culpabilité post-coloniale propre aux Partout.
• David Goodhart, Les deux clans. La nouvelle fracture mondiale, Les Arènes, 2019, 400 p., 20,90€ (version originale anglaise parue à Londres en 2016).
Décadence et renaissance, des racines au remède: les "Notes pour comprendre le siècle" de Drieu la Rochelle
Décadence et renaissance, des racines au remède : les « Notes pour comprendre le siècle » de Drieu la Rochelle
Par Clément d’Augis
Ex: https://lesobservateurs.ch
♦ En octobre 1941, quatre ans avant son suicide, Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945) publie les Notes pour comprendre le siècle (1), un ouvrage précieux, d’une acuité critique et d’une érudition saisissante, au propos souvent confondant d’actualité. La récente réédition chez Pardès, accompagnée d’une excellente préface de Thierry Bouclier (avocat et docteur en droit), rend justice à ce texte, dont la lecture éclaire toujours davantage à mesure que la déliquescence de nos sociétés européennes s’accélère.
Une généalogie de la décadence
Au fil d’une centaine de pages seulement, et en huit chapitres distincts, le romancier « européiste », l’essayiste radical, le styliste dandy énonce dans un propos condensé, toujours efficace — bien que parfois désordonné dans l’apparence (il s’en justifie dans la postface) — les lacunes métaphysiques d’une civilisation en pleine décadence. Traçant la chronologie de celle-ci, notamment en parcourant l’histoire de l’esthétique européenne et en dressant des portraits littéraires d’une rare finesse, il développe la thèse qui va traverser l’ouvrage et justifier tout propos : cette décadence trouve sa cause fondamentale dans le déséquilibre du corps et de l’esprit.
Drieu va examiner la problématique dualiste dans sa plus longue histoire. Il remonte aux Grecs, passe par les Écritures, s’arrête au Moyen Âge. Objet du premier chapitre, il est, pour lui, le moment historique de la parfaite mesure entre corps et esprit, moment viril, moment chrétien par excellence (on retient les magnifiques pages sur un Christ conquérant).
Drieu montre la grandeur médiévale dans les Arts, l’organisation sociale, la mystique…
En revanche, il identifie, comme Guénon et nombre de penseurs de la décadence, la chute, à la trop succinctement nommée « Renaissance » (il en distingue deux moments). Par l’expansion de l’urbanisme et le pourrissement graduel du modèle féodal, le spirituel va prendre le pas sur le physique, le corps est progressivement relégué : « Dans les villes commence à se former la conception bourgeoise de la vie, la conception intellectuelle et rationaliste de l’homme sans corps, de l’homme assis » (p. 43).
Après avoir décrit les dégâts conjoints de la Réforme et de la Contre-Réforme, la déviation du christianisme dans l’humanisme rationaliste, Drieu va entamer une profonde herméneutique littéraire. Immense lettré et grand critique, il examine un panthéon colossal, déploie des analyses foisonnantes, nuancées bien que tranchantes, toujours édifiantes. De Rousseau à Valéry, en passant par Vigny, Balzac, Rimbaud, Bloy, Barrès, Céline ou Claudel, il étudie pas moins de vingt auteurs. Et le Normand n’épargne personne, du vitriol sous la plume.
Drieu interprète la réaction romantique face au rationalisme comme une aporie (il comprend par ailleurs le naturalisme comme un romantisme — où on le suivra moins, bien qu’il explicite parfaitement son propos).
Le premier romantisme « qui n’est que le retournement du rationalisme contre soi-même » (p. 77), ne ramène aucunement l’équilibre ; au contraire, il détache l’homme, accouchant d’une inféconde mystique, et portant une vision mortifère du corps, sale, dégradé.
Du renouveau symboliste à l’homme nouveau
Loin de se contenter d’une analyse méthodique, et ne cédant à aucune forme de nihilisme, Drieu invoque avec passion (certes plus tempérée que dans certains de ses Écrits de Jeunesse) un formidable mouvement de renaissance européenne, en acte, et en décrit les prémisses et les points saillants.
Littéraire d’abord, Drieu voit, par l’achèvement du romantisme dans le symbolisme (« C’est dans le symbolisme — pris au sens large — que le romantisme réel (…) s’est enfin réalisé », p. 84), la reprise d’une mystique de la force, le vecteur profond d’un retour au corps, le rééquilibrage de la dualité. Le Rimbaud d’Une saison en enfer rend possible Bloy, puis Claudel, à qui Drieu adresse un intense panégyrique. Alors, « le cercle est bouclé, l’homme s’est reconstruit, l’âme et le corps après une si longue séparation se sont rejoints » (p. 87).
Sur le terreau d’une littérature de muscles, d’une mystique lui laissant place, le corps peut réapparaitre, très concrètement. On assiste à la codification des sports d’équipe, à la naissance de l’athlétisme, de l’alpinisme, de Coubertin… C’est dans ce retour de la vigueur que Drieu voit les conséquences de la réconciliation symboliste.
Retour aux couleurs, à la nature comme socle (le scoutisme par exemple), au sol natal ; retour nietzschéen de la force aussi. Nietzsche, qualifié de prophète, « jette un anathème écrasant et bientôt définitif sur tout le rationalisme » (p. 105). L’Europe renoue avec le courage, la discipline : « L’homme nouveau a réuni les vertus qui étaient depuis longtemps dissociées et souvent opposées les unes aux autres : les propriétés de l’athlète et du moine, du soldat et du militant » (p. 120).
Les systèmes nationaux-socialistes viennent, selon Drieu, consacrer pleinement cette vision réconciliée, la totalité harmonique médiévale retrouvée.
L’histoire a tranché, on sait comment.
L’optimisme d’un désespéré
Y croyait-il vraiment encore ? Lui qui, dans son Journal, pouvait écrire au 1er octobre 1941 : « Peu de fascisme en France, parce que peu de vie (…) à quoi bon inventer le fascisme en France quand ailleurs il va être dépassé -— et en Allemagne même ? » (Journal, p. 275) ; lui qui seize jours plus tard écrira dans le même journal, comme le souligne Thierry Bouclier, l’impossibilité d’une victoire allemande définitive sur le front russe, en percevant les conséquences pour l’idéal européen tel qu’il l’avait pensé.
Pourquoi donc lire Drieu ? D’abord – et cela pourrait se suffire à soi-même – parce que bien que très condensée, les Notes pour comprendre le siècle est une passionnante et singulière histoire de la littérature.
On doit ensuite lire les Notes parce que leur pertinence et leur lucidité sur le mal européen du XXème siècle sont, pour bonne part, largement transposables à notre contemporanéité, plus encore, à notre immédiate actualité. Thierry Bouclier souligne, à la fin de la préface, citant Drieu, comment « la France des assis » s’est imposée durant le confinement lié à l’épidémie de COVID-19, très loin de l’homme idéal de Drieu, un homme sain, sportif, valeureux, courageux, enraciné, radical. Un modèle, soit dit en passant, qu’il faudrait s’appliquer à soi-même tant cela semble être une condition nécessaire à toute ambition de régénérescence identitaire.
On peut également trouver un éclairage sur les motifs profonds de la récente décapitation d’un enseignant, au nom d’Allah, par un Tchétchène de dix-huit ans, quand Drieu affirme : « Il n’y a de barbarie qu’au contact d’une décadence et dans cette décadence. Le Germain de Tacite n’est pas un barbare, c’est un primitif. Mais au contact du Romain déchu, il devient un barbare c’est-à-dire un homme soudain sorti de son horizon, désorienté, affolé, excessif, convulsé par la répugnance et l’attirance du pire. Reste que le Romain déchu est barbare avant le Germain pris dans la marge de l’Empire » (p. 76).
Remplacer Romain et Barbare par qui l’on voudra.
Clément d’Augis
07/11/2020
(1) Pierre Drieu la Rochelle : Notes pour comprendre le siècle, éd. Pardès, 138 pages avec iconographie et index, 16 euros, 2020
Ultra-Graal, une poétique de l'âme
Ultra-Graal, une poétique de l'âme
Ex: https://idiocratie2012.blogspot.com
Ultra-Graal est un petit livre merveilleux ; il s’adresse à l’âme de ceux qui croient encore possible d’aller en quête du « Saint Vase » à la suite des rois cachés, des chevaliers errants et des fidèles d’amour. Dans une sorte d’exhortation adressée à ses frères d’esprit, Bertrand Lacarelle invite à reprendre ce voyage qui mène au cœur de la France, dans la forêt sombre et épaisse où, parmi les ronces et les fougères, s’élève une « cathédrale oubliée ». On y trouvera sur l’autel de marbre blanc, éclairé par le grand soleil, la coupe du Graal – celle qui a recueilli le sang du Christ.
Pour nous dévoiler quelques bouts de cette carte mystérieuse, Lacarelle a relu les 5000 pages du Livre du Graal, une œuvre multiforme et en grande partie anonyme qui narre les aventures de chevaliers médiévaux : Lancelot, Galaad, Perceval, Gauvain, etc. Une histoire monde qui débute sur les terres païennes de la Bretagne et qui se referme sur les terres saintes d’Israël. Etonnamment, le Livre du Graal n’a pas acquis la notoriété des grands textes initiatiques que sont l’Iliade, l’Odyssée, l’Enéide ou la Divine Comédie. C’est pourtant l’âme secrète de l’Europe qui brille dans cette cathédrale de mots, et c’est à nous qu’il appartient de la redécouvrir à travers les sentes de l’Orient intérieur. Une quête ultra pour les hommes sans horizon de la modernité. « Le Graal s’est enfui par-delà nos âmes. Pour la retrouver, il faut être ultra » écrit Lacarelle.
L’exhortation s’accompagne, comme nous l’avons dit, de quelques repères psychogéographiques afin que les frères partent moins seuls en chemin de Graal. L’auteur commence par nous rappeler les grandes étapes d’une aventure qui hisse les trajectoires individuelles à la hauteur de l’histoire universelle et inversement. A l’époque d’Arthur, les « chevaliers de bataille » fondent le royaume chrétien sur les braises vivantes des anciens cultes ; le mage Merlin guide les pas du futur roi chrétien. Avec Lancelot, les « chevaliers errants » quittent le royaume pour tenter le destin au nom de la noble dame ; ils quêtent l’aventure comme des fous d’amour. Enfin, les « chevaliers célestes », avec à leur tête Galaad, se mettent au service du Christ pour suivre le « Blanc Cerf » ; ils retournent d’où ils sont venus, par delà terre et ciel.
Dans un deuxième mouvement, Lacarelle nous entraîne dans les pas des chevaliers oubliés, des « errants contraires », qui ont cherché ce que leurs prédécesseurs avaient cherché, renouvelant ainsi la seule tradition qui vaille : celle de la quête. Burroughs, Kerouac, Debord, Orwell, Thibon, Charbonneau, etc. que n’ont-ils fait sinon divaguer sur les bords d’une société avec laquelle ils n’avaient plus rien en commun. A la recherche d’une cathédrale enfouie, d’une cathédrale oubliée, là où Kerouac avait par exemple découvert le nom de « beat », lequel renvoyait à « béatifique » et non à « beatnik ». En chemin, Lacarelle s’arrête sur les mots d’ordre d’un penseur méconnu, Lucien Rivière, qui invitait dès 1978 à suivre les voies du « terroirisme » ou du « terreaurisme », une action de vie poétique et agricole. Une écologie « intégraale » comme s’en amuse l’auteur.
Enfin, il nous transmet l’intrigue d’un jeu qui se poursuit aujourd’hui sous la forme d’un graffiti « G.R.A.A.L. » inscrit sur les murs fissurés de notre monde (avec photos à l’appui) : Groupe Réaction Anarcho Autonomiste Libertaire, Grande Restauration de l’Ame Ardente sans Limite, Garde Royale de l’Archipel Autonome Libre, Geste Révolutionnaire d’Armures et d’Apparats Légers, etc. Pour témoigner, toujours, les chevaliers laissent derrière eux les signes d’un passage, à destination de leurs frères, pour illustrer la secrète histoire. Comme l’énigmatique texte « Le Dit de Dodinel » ou encore le « Poème-slogan pour la pauvre Jeanne » qui font résonner les mots inutiles et poétiques d’une arrière-garde de pauvres chevaliers, plus que jamais présents, souterrainement. Nous laissons le soin aux lecteurs de les découvrir, et de s’y rattacher, pour revenir à la source et rentrer chez soi, en France.
Jérôme Fourquet’s The French Archipelago
Jérôme Fourquet, L’archipel français: Naissance d’une nation multiple et divisée (Paris: Seuil, 2019)
Jérôme Fourquet is a mainstream pollster with the venerable French Institute of Public Opinion (IFOP), the nation’s leading polling agency. He made a splash last year with his book, The French Archipelago: The Birth of a Multiple and Divided Nation, which presented a fine-grain statistical analysis of socio-cultural changes in French society and, in particular, fragmentation along ethno-religious and educational lines.
The book persuasively makes case that the centrist-globalist Emmanuel Macron’s election to the presidency and the collapse of the traditional parties of government in 2017 were not freak events, but the reflection of long-term trends which finally expressed themselves politically. The same can be said for the growing popularity of anti-establishment movements like Marine Le Pen’s National Rally (RN) and the yellow-vests.
Following the works of many sociologists and historians, Fourquet sees French politics as historically divided between a Catholic Right and secularist Left. This divide had been highly stable since the French Revolution, if not earlier, with a dechristianizing core stretching out from the greater Parisian basin into the Limousin, with most of the periphery remaining relatively conservative. These subcultures united people of different classes within particular regions and corresponded politically with the conservative and Socialist parties who have taken turns governing France since World War II.
Since 1945, the collapse of Catholicism and the steady cognitive/economic stratification of French society have destroyed the reach and unity of the Catholic-right and secularist-left blocs. Macron was able to tap into the latent political demand of the wealthiest, most educated, and mobile 20% of French society, while the increasingly alienated and déclassés lower classes of French Whites have been falling out of the mainstream political system altogether.
Fourquet meticulously documents the social trends of the past 70 years: the decline of Catholicism, the Communist Party, and traditional media, the triumph of social liberalism, the division of cities into gentrified areas, crime-ridden ghettos, and the (self-)segregation of individuals along educational and ethnic lines. In all this, Fourquet’s book serves as an excellent statistical companion piece to Éric Zemmour’s Le Suicide français, which looks at many of the same themes through the lens of political and cultural events.
What’s in a first name? Quite a lot, actually
Fourquet uses a wealth of socio-economic and polling data to make his case. Some of the most innovative and striking evidence however is the big-data analysis of first names in France’s birth registries since 1900. This looks into the trends for numerous different types of names: Christian, patriotic, regional (Breton and Corsican), Muslim, African, and . . . Anglo. Far from being random, Fourquet shows that the trends in first-name giving correlate with concurrent social and political phenomena. For example, the number of people giving their girls patriotic names like France and Jeanne spiked during moments of nationalist fervor, namely the first and second world wars (p. 35).
More significantly, Marie went from being the most common name for girls (20% of newborns in 1900) to 1-2% since the 1970s. Unsurprisingly given the Virgin Mary’s importance in the Catholic religion, Marie was more popular in more religious regions and declined later in the conservative periphery. Marie’s decline thus seems to be a solid temporal and geographical marker of dechristianization (mass attendance and traditional Christian values, such as marriage and opposition to abortion and gay marriage, also collapsed during this period).
First names also provide a marker for assimilation of immigrant groups. Fourquet shows how Polish first names exploded in the northern mining regions of France in the 1920s and then fully receded within two decades. He shows the same phenomenon for Portuguese immigrants and first names in the 1970s. This assimilation is in accord with sociological data showing that European immigrants tend to rapidly converge in terms of educational and economic performance with the native French population.
By contrast, Fourquet shows that people with Muslim last names almost never choose to give their children traditional French first names. He documents a massive increase in the proportion of newborns given Muslim first names from negligible in the 1960s to around a fifth of the total. There is also an increase in the number of people with Sub-Saharan African names.
Somewhat similarly to Europeans, Asian immigrants (disproportionately from the former Indochina) are much more likely to adopt French first names and perform comparably in economic and educational terms.
Beyond these stark ethno-religious demographic changes, Fourquet also highlights more subtle trends that often fall below the radar. First names also provide a marker for the degree to which the French have a common culture or, conversely, of heightened individual or sectoral identities.
Fourquet identifies an explosion in the number of different names used by the French. This figure was stable around 2000 from 1900 to 1945, rising to over 12,000 today. And this does not count the proliferation “rare names” – those for which there are less than 3 people with that name – among all populations. Fourquet takes this as evidence of increased individualism and “mass narcissism,” more and more people wishing to differentiate themselves.
In principle, until recently the French were forced by Napoleonic-era legislation to choose their first names from the Christian calendar, medieval European names, or Greco-Roman antiquity. All of France proper used a common corpus of names, with little local variation. The list of acceptable names was extended by ministerial instruction to regional and mythological names in 1966, while in 1993 the restriction was abolished. However, the trend of more-and-more names in fact long predates these legal changes. Evidently municipal authorities already were tolerating unusual names more and more.
What are the names in question? All sorts. The use of Breton (Celtic) names in Brittany has more tripled from 4% to around 12% (p. 127), with sharp rises corresponding to moments of heightened Breton regionalist politics in the 1970s.
Similarly, Italian-Corsican first names have risen from virtually nil in the 1970s to 20% of Corsican newborns today, coinciding with the rise of the Corsican nationalist vote on the island to 52.1% in 2017 (p. 130). Corsican nationalism has risen despite the fact that use of the French language has largely supplanted the Corsican dialect. Many Corsicans resent colonization both by wealthy metropolitan French buying up properties on the fair isle and by Afro-Islamic immigrants.
There has also been a steady increase of the use of markedly Jewish first names like Ariel, Gad, and Ephraïm – which were virtually unheard of in 1945 (p. 213)
One of the most intriguing trends is the proliferation of Anglo first names from a mere 0.5% of newborns in the 1960s to 12% in 1993, today stabilized around 8% (p. 120). Names like Kevin, Dylan, and Cindy became extremely popular, evidently influenced by American pop stars and soap operas (The Young and the Restless was a big hit in France under the title Les Feux de l’Amour). Significantly, Anglo names are more popular among the lower classes, going against the previous trend of French elites setting top-down fashion trends for names. Indeed, many yellow-vest and RN cadres in France have conspicuously (pseudo-)Anglo first names, such as Steeve [sic] Briois (mayor of the northern industrial city of Hénin-Beaumont), Jordan Bardella (RN youth leader and lead candidate in the 2019 EU parliamentary elections), and Davy Rodriguez (youth deputy leader).
A fragmented France: Globalists, populists, and Muslims
Fourquet sees France as an “archipelago” of subcultures diverging from one another. Among these: Macron-supporting educated metropolitan elites, the remaining rump of practicing Catholics (6-12% of the population), conservative-supporting retirees, expats outside of France (whose numbers have more than tripled to around 1.3 million since 2002), alienated lower-class suburban and rural Whites (often supporting the yellow-vests and/or Marine Le Pen), and innumerable ethnic communities, mostly African or Islamic, scattered across France’s cities.
The French are less and less united by common schools, media, and life experiences. The fifth or so of most educated, wealthy, and deracinated French finally manifested politically with Macron’s triumph in 2017. But will these other subcultures become politically effective? Fourquet concludes that
Thus, over the past 30 years, many islands of the French archipelago are becoming politically autonomous and obey less and less the commands of the capital-island and its elites. Though indeed the scenario in which the [subculturally] most distant islands or provinces would declare their independence does not seem to be on the order of the day. (pp. 378-79)
Still, we can see major subcultural blocs consolidating. In the immediate, the most important is the vast suburban and rural bloc of alienated Whites. Support for Marine Le Pen correlates with distance from city-centers, the presence of Afro-Islamic immigrants (until these overwhelm the natives), and/or chronic unemployment. Fourquet says that “the yellow-vest movement has been particularly revealing not only of the process of archipelization underway but also of the peripheries’ inability to threaten the heart of the French system” (379). It seems probable the bloc of alienated Whites will continue to grow and develop politically.
The White “popular bloc” is not coherent politically but is basically entropic. The yellow-vests, themselves not an organized group at all, did not so much have a political program but a set of concerns essentially revolving around purchasing power, public services declining areas, and direct democracy. The most clear and political demand of the yellow-vests was the famous Citizen Initiative Referendum (RIC), similar to practices in Switzerland or California. This measure, whatever its merits, is more about means than ends and is entropic as such.
Marine Le Pen’s National Rally, the other great manifestation of this bloc, is characterized by a mix of socialistic civic nationalism and political opportunism. Given the travails of the Brexit and Trump experiences, one wonders how an eventual National Rally administration would or could govern, especially if virtually the entire French educated class would similarly rise in opposition.
The other great emerging bloc(s) is that made up of France’s fast-growing African and Islamic communities. I would have liked more information on this group. There is data indicating that French Muslims are considerably endogamous (most marry within their own ethny, though there is some variation by community). While the French overwhelmingly support abortion and homosexuality, only small majorities of Muslims do, an important marker of limited convergence. He also observes that a significant minority of Muslims are entering the middle and upper classes, and indeed that the more educated a Muslim is the more likely he or she is to be married to a native French.
However, other indicators of “assimilation” have if anything gone into reverse since the early 2000s: more Muslim women are wearing headscarves, Muslim youth are more likely to say sex before marriage is immoral than their elders (75% to 55%), and two thirds of young Muslims support censorship blasphemy and one quarter condones the murder of cartoonists mocking Mohamed. The War on Terror and renewed Arab-Israeli conflict appear to have rekindled Muslim identity in France. What’s more the sheer number of Muslims and the unending flow from the home country appear to be making them more confident in rejecting assimilation.
In the coming decades, we can reasonably expect French society to become polarized between an Afro-Islamic bloc, united by economic interests and ethno-religious grievances, and a middle/lower class White bloc. And I use the word White, rather than native French, advisedly: many prominent French nationalists and their supporters are of Italian, Polish, or Portuguese origin.
To his credit, Fourquet repeatedly emphasizes the scale and unprecedented nature of the ethno-religious changes in the French population. He also discretely observes the potential for conflict, saying of Paris: “This great diversity is the source of tensions (the demographic balance within certain neighborhoods is changing according to the arrival or reinforcement of this or that group)” (p. 377). And then hidden away in a footnote: “In a multiethnic society, the relative weight of different groups becomes a crucial matter, as individuals seek a territory in which their group is the majority or at least sufficiently numerous.” Indeed.
Fourquet concludes:
At the heart of the capital-island [Paris], the elites reassure themselves in the face of their opponents’ impotence. In so doing, they think that they can rely on the traditional exercise of authority without having to draw the consequences of the birth of a France with a new form and new drives: a multiple and divided nation. (p. 379)
This book left me curious, but also unnerved, about the further social transformations in store for our societies, even beyond the ethnic factor. The disturbing trends in France very much have their analogues in other Western nations. White proles – vilified by their own ruling class or left to their own devices – are in sorry shape. Western elites have lost their collective minds. Looking further afield, how will individualism and social fragmentation manifest in other nations, such as Israel or Japan? Will authoritarian states like China be better able to manage these tendencies, or not? To what extent will these trends intensify? What new trends will emerge in coming decades with advent of yet more new technologies? Amidst this uncertainty, there will certainly also be political opportunities.
Pierre Le Vigan sur Achever le nihilisme
Thibaud Gibelin : « Viktor Orbán n’a pas attendu 2015 pour subir les foudres des médias occidentaux »
Thibaud Gibelin : « Viktor Orbán n’a pas attendu 2015 pour subir les foudres des médias occidentaux »
Ex: https://www.breizh-info.com
Le Brexit consommé, l’axe franco-allemand déséquilibré, l’Union européenne aborde à bout de souffle les années 2020. Un vent de fronde souffle sur l’Europe centrale, où Viktor Orbán dessine depuis dix ans une alternative politique qui inquiète l’Europe de l’Ouest.
Premier ministre de Hongrie une première fois de 1998 à 2002, son retour en 2010 marque un véritable tournant européen. En une décennie d’exercice continu du pouvoir, Viktor Orbán a fait exploser tous les clivages : avocat de l’unité européenne, mais bête noire de Bruxelles ; à la fois démocrate et illibéral ; rigoureux en économie, mais opposé au libre-échange global ; défenseur de l’Occident chrétien et diplomate empressé auprès de la Chine, la Turquie et la Russie…
L’Union européenne prendra-t-elle le visage de l’homme fort de Budapest dans les années à venir ?
Dans un livre qui vient de paraître, intitulé « Pourquoi Viktor Orbán joue et gagne » (éditions fauves) Thibaud Gibelin retrace l’histoire du groupe de Visegrád – la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la Tchéquie – pour mieux comprendre ce qui se joue aujourd’hui en Europe centrale et éclairer la personnalité d’un chef d’État parmi les plus décriés et certainement les plus expérimentés du continent.
Nous l’avons interrogé sur l’ouvrage, particulièrement éclairant sur ce qu’il se passe à quelques heures d’avion, au centre de l’Europe, loin des commentaires de journalistes mainstream à la solde d’institutions non élues qui font la pluie et le beau temps au sein de l’Union Européenne.
Pour commander le livre, c’est ici
Breizh-info.com : Vous publiez un livre intitulé « Pourquoi Viktor Orbán joue et gagne ». Quelle est la genèse de ce livre ?
Thibaud Gibelin : La genèse de ce livre, c’est d’abord une dizaine d’années d’étude, de voyage et de travail à travers l’Europe. J’avais suivi de près les élections législatives de 2018, quand Viktor Orbán a été réélu, pour la seconde fois d’affilée, avec 2/3 des sièges au Parlement. On était alors dans le sillage de la crise migratoire, qui a mis en vue cet homme d’Etat sur la scène politique européenne. Les médias prophétisaient la déroute de son parti, et en ont été pour leurs frais. Il m’a semblé important d’expliquer de quoi Viktor Orban est le nom. En éclairant ses positions à la lumière de l’histoire centre-européenne. En replaçant sa carrière politique dans ces grandes faillites idéologiques que sont la chute du communisme au tournant des années 1990, et la crise systémique de l’Occident libéral depuis 2008 environ.
Breizh-info.com : Viktor Orbán est devenu y compris malgré lui la figure de proue étatique et politique de la résistance identitaire à l’immigration et à l’islamisation en Europe. Comment l’expliquez-vous ? Cette image est-elle fondée ?
Thibaud Gibelin : Il y a bien sûr une part de réalité. Il y a aussi une projection des espoirs et des craintes de l’opinion publique occidentale. Espoir d’une restauration de la puissance publique en faveur de la continuité historique des nations européennes ; crainte d’un populisme chaotique et inconséquent.
Les préoccupations identitaires en Hongrie viennent de loin. Le pays a subi l’impérialisme ottoman de longs siècles, et refuse d’ouvrir les vannes de l’immigration musulmane. La situation géographique du pays, au sud-est de l’espace Schengen, l’oblige selon les traités à garder la frontière extérieure face à un nombre considérable de migrants illégaux.
La Hongrie compte à peine 10 millions d’habitants, son influence dans le concert européen tient à la solidarité tissée avec les autres pays du groupe du Visegrad. De même, c’est paradoxalement l’appartenance à l’Union européenne qui donne aux positions hongroises une envergure continentale. Pas plus tard qu’hier, en bloquant l’adoption du budget européen pluriannuel 2021-2027 et celui du plan de relance – réfutant ainsi qu’un biais idéologique détermine l’allocation des fonds européens.
Breizh-info.com : Viktor Orbán fût encensé par les médias occidentaux à l’époque où il luttait contre le joug soviétique, puis démoli après s’être opposé à l’immigration. Comment expliquez-vous ce revirement ?
Thibaud Gibelin : Viktor Orbán n’a pas attendu 2015 pour subir les foudres des médias occidentaux. Il est vrai qu’à l’époque communiste et à celle du changement de régime, le libéralisme occidental exerçait une invincible attirance sur le personnage. Mais dès 1993, Viktor Orbán assoit sa domination sur le Fidesz et impose un tournant conservateur à sa formation politique. Ceci lui vaut à trente ans une première bronca médiatique. Autant dire que le personnage ne craint plus la « diabolisation ».
Ce n’est pas lors de sa première expérience de gouvernement, de 1998 à 2002, qu’il devient la bête noire des médias occidentaux, mais de façon croissante depuis 2010.
La question migratoire peut même paraître secondaire parmi les reproches qu’adressent nombre de médias à la Hongrie. Par exemple, le soutien apporté à l’épanouissement de la famille traditionnelle plutôt qu’à l’agenda LGBT dévoile des ruptures abyssales entre Budapest et Bruxelles. Les efforts de la diplomatie hongroise pour tisser des partenariats tous azimuts, notamment avec la Russie et la Chine, déplaisent à l’Allemagne qui regarde l’Europe centrale comme sa zone d’influence attitrée.
Breizh-info.com : Nos informations font tout de même état d’une contestation anti Viktor Orbán qui monte en Hongrie actuellement, et d’intentions de vote pas en sa faveur. Qu’en est-il ?
Thibaud Gibelin : Les antagonismes politiques en Hongrie sont réels et particulièrement violents. Chaque camp dispose d’une importante surface médiatique, ce qui attise les oppositions. Zapper d’une chaîne à l’autre en amont des élections de 2018 vous donnait le vertige, tant les camps ennemis se rendent coup pour coup ; c’est le revers de la pluralité médiatique. Il est vrai que l’opposition à Viktor Orbán tente de former un front commun, de l’extrême-droite réformée (Jobbik) à la gauche. Cette configuration « arc-en-ciel » a permis de ravir Budapest et quelques métropoles provinciales au Fidesz l’automne dernier. Cette contestation disparate inspire cependant peu de confiance à travers la pays.
Le grand enjeu est désormais la gestion de la « crise de la Covid 19 », à commencer par la contraction importante de l’économie.
Breizh-info.com : Pensez-vous que la stratégie de Viktor Orbán et plus globalement du groupe de Visegrad, puisse un jour déteindre sur l’Europe de l’Ouest ou bien les paramètres sont fondamentalement différents ?
Thibaud Gibelin : Si on peut parler de « stratégie », celle de Viktor Orbán est dictée par les circonstances. La Hongrie a besoin de l’envergure du groupe de Visegrad pour se faire entendre à Bruxelles. De même l’Europe centrale, en tant que périphérie du monde occidental, ne peut envisager le maintien de son intégrité culturelle sans faire muter Bruxelles. Tout Etat membre pèse à sa mesure dans l’identité double de l’UE : visage unitaire du continent ou cosmopolitisme sans visage. Rarement l’histoire européenne n’a été aussi tragique qu’à présent. Ce livre donne la mesure du siècle européen qu’on édifie à Budapest.
Propos recueillis par YV
Crédit photo : Wikimedia commons (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
A War of Ideas: Seminal Thinkers of the New Right
Luc-Olivier d'Algange ou l'Europe secrète
Luc-Olivier d'Algange ou l'Europe secrète
par Christopher Gérard
Ex: http://archaion.hautetfort.com
Lecteur de Balzac, disciple du gnostique Raymond Abellio et du mystique monarchiste Henry Montaigu, Luc-Olivier d’Algange poursuit depuis des décennies une quête exigeante, nourrie d’immenses lectures, de Platon à Nietzsche, et dont l’objectif est toujours de « sauvegarder en soi, contre les ricaneurs, le sens de la tragédie et de la joie ».
Même s’il en appelle parfois au Christ, un Christ solaire et victorieux à des années lumières du dolorisme ecclésiastique, Luc-Olivier d’Algange se révèle Hellène, adepte d’une pensée de type orphique.
Contre-moderne résolu, allergique aux « voies ferrées » de l’infralittérature officielle, il résiste à toutes les formes d’hébétude et d’anesthésie, à la massification globale comme aux formes nouvelles ( ?) d’obscurantisme.
Il y a chez lui du paladin de l’ancienne France royale et du mystique de l’Allemagne secrète. Par son travail de recherche et d’approfondissement effectué dans la solitude et dans l’indifférence aux modes, l’homme prépare un « dé-confinement » esthétique et spirituel, une sortie de la Caverne ainsi qu’un recours à l’essentielle leçon des Grecs, nos Pères : faire de l’homme « la mesure de toute chose » pour citer le Protagoras de Platon. Il s’agit bien de faire contrepoids aux langueurs du déclin : « L’exil intérieur est source de folles sagesses dont aucune ne se soumet à la tristesse ».
C’est dire s’il faut applaudir la réédition revue et augmentée de quatre de ses livres dans la belle collection Théôria que dirige Pierre-Marie Sigaud chez L’Harmattan, et qui a pris la suite de la regrettée collection Delphica des éditions L’Âge d’Homme. Il s’y retrouve en bonne compagnie aux côtés de Françoise Bonardel, de Jean Borella ou de Frithjof Schuon. L’ombre de Venise, le salut aux mânes de Dominique de Roux, les relectures de Dante et d’Hölderlin, l’alchimie et Henry Corbin peuplent des pages marquées au sceau de l’exigence.
Luc-Olivier d’Algange ou le Bon Européen, celui « qui ne se soumet point au temps » !
Christopher Gérard.
Luc-Olivier d’Algange, L’Âme secrète de l’Europe,L’Harmattan, 368 pages, 38€
Extrait d'un entretien paru en 2007
Christopher Gérard : Pouvez-vous retracer les grandes étapes de votre parcours spirituel et littéraire ? Les grandes lectures qui vous ont marqué à jamais, les grandes rencontres ?
Le regard rétrospectif est souvent trompeur, les grandes étapes que nous croyons distinguer dans notre cheminement témoignent bien mieux de ce que nous sommes au moment où nous parlons que du chemin parcouru. Nous confondons, souvent de bonne foi, les auteurs qui nous ont véritablement influencés avec ceux qui nous apparurent comme des confirmations d’une pensée déjà éprouvée. De même que l’histoire est écrite par les vainqueurs, le moment présent détient le secret de ce que nous pensons de notre passé. Or, de mon propre passé, je ne trouve à dire que du bien, mais un bien indéfinissable, polyphonique, versicolore, chatoyant. Je ne puis m’empêcher de voir dans le passé personnel ou hérité un faisceau de circonstances heureuses, de coups de chance, de bonheurs inexplicables, de dons inespérés, quand bien même rien ne m’inclina jamais à me dissimuler à moi-même le caractère désastreux de la situation d’ensemble, dans une France triplement, ou quadruplement vaincue, dont l’hébétude s’est changée peu à peu en un conformisme assez hargneux, voire inquisitorial, au point de faire de tout auteur, une figure assez crédible d’accusé. Dans le domaine littéraire, de nos jours, le rôle de procureur ne le cède, et rarement encore, qu’à celui de l’avocat. Il me semble, au contraire, que les œuvres, par les joies qu’elles nous donnent, par l’énergie nerveuse qu’elles nous communiquent, par les sollicitations sensibles et intellectuelles qu’elle prodiguent, appartiennent aux bienfaits de l’existence, quand bien même elles contredisent à nos convictions ou à nos croyances.
Ma première grande lecture, fut celle, vers l’âge de dix ans, de Balzac. Expérience prodigieuse : l’impression que le Saint-Esprit lui-même était descendu sur terre pour connaître l’humanité ! Je vous livre mon sentiment d’alors dans toute sa naïveté… Il n’en demeure pas moins que ma lecture de René Guénon, de Raymond Abellio ou de Henry Corbin est issue, pour ainsi dire de ma lecture du Louis Lambert de Balzac. Loin de moi d’exclure l’hypothèse que ma curiosité pour la Chine et le Tibet, ma lecture des taoïstes et de Milarepa n’eût été influencée, depuis l’enfance, par les albums de Hergé. Mon père eut l’excellente idée de me faire lire Voltaire et Barbey d’Aurevilly, sans me dire exactement s’il fallait préférer l’un ou l’autre. J’eus ensuite la chance d’avoir pour professeur en classe en cinquième, Jacques Delort, auteur d’un beau livre sur la poésie et le sacré, qui nous fit découvrir, entre autres, Rimbaud, Mallarmé, Stefan George, Saint-John Perse, André Breton et René Daumal. J’étais armé. Mes promenades du côté du Quartier Latin et de Saint-Germain, du temps où les librairies et les salles de cinéma n’avaient pas encore cédé la place aux marchands de ticheurtes et de bouffe, me permirent de parfaire une culture improvisée, je ne dirais pas d’autodidacte, mais d’amateur ou de promeneur. Quelques expériences dionysiaques me portèrent à m’intéresser à Mircea Eliade, Julius Evola et Ernst Jünger. Enfin, je devins un lecteur éperdu des romantiques allemands et anglais dont les œuvres me semblaient non seulement une admirable révolte contre la platitude imposée, mais comme l’approche d’une connaissance de l’âme humaine et de l’âme du monde. Novalis, Jean-Paul Richter, Arnim, Brentano, Chamisso, Eichendorff, Hoffmann, Schlegel, ces noms évoquent une pensée déliée, heureuse, légère où la raison et les mystères s’épousent plus qu’il ne se heurtent, où l’on pouvait croire encore en une civilisation, c’est à dire en une civilité romane, placée sous le signe des Fidèles d’Amour. Si l’on connaît mieux un écrivain en lisant ses livres qu’en dînant avec lui, au contraire du préjugé journalistique et de la psychologie de bazar, deux rencontres demeurent marquantes pour moi, celle de Raymond Abellio, attentif et généreux, et celle de Henry Montaigu, chevalier de l’Idée Royale « quêteur de Graal et chercheur de noise ».
Depuis trente ans, vous écrivez sans relâche, imperturbable. Pouvez-vous évoquer en quelques mots votre conception du travail de l’écrivain, par exemple en partant de deux citations de L’Ombre de Venise (« Les œuvres ne valent qu’opératoires, je veux dire en tant qu’instrument de connaissance. Toute poésie est gnose » et « faisons du mot saveur un mot-clef ») ?
Ces trente ans que vous évoquez me donnent un vague sentiment d’effroi. J’ai toujours l’impression d’écrire pour la première fois et dans la plus grande improvisation. L’art d’écrire m’évoque la navigation. Nous prenons le large sur une embarcation plus ou moins frêle, avec une vague idée de retour, et sommes ensuite livrés à toutes sortes de chances maritimes ou météorologiques auxquelles nous ne pouvons presque rien. La notion de « travail du texte » me semble incongrue : elle vaut pour ceux qui restent à quai et passent leur temps à ripoliner leur coque. Si les œuvres ne sont pas des instruments de connaissance, si elles ne nous portent pas vers des Hespérides inconnues, vers ces « Jardins de la mer » qu’évoquent les Alchimistes, si nous ne sommes pas tantôt encalminés tantôt jetés dans la bourrasque, à quoi bon ? La saveur est le savoir, le sel de Typhon. La saveur est exactement le « gai savoir » nietzschéen, la sapide sapience qui est le secret de tout art de l’interprétation. L’écrivain est aruspice, il s’inspire des configurations aériennes ; ses signes sont des vols d’oiseaux sur le ciel blanc. La fin de l’interprétation est de prendre les choses pour ce qu’elles sont, des Symboles, autrement dit de magnifiques évidences. Nous écrivons pour que les choses redeviennent ce qu’elles sont, dans toute leur plénitude. Nous témoignons d’une préférence pour ce qui est, nous ne voulons pas d’autre monde que celui-ci, qui est à la fois naturel et surnaturel, en gradations infinies, du plus épais au plus subtil, du plus tellurique au plus archangélique. Nous aimons cette joie qui nous est donnée et nous détestons ce qui voudrait nous en exproprier.
L’Ombre de Venise : quelle en est la genèse ? Et le principal angle d’attaque… Car il s’agit d’un livre de combat, n’est-ce pas ?
Toute œuvre est de combat ; c’est exactement ce qui distingue une œuvre d’un travail. La genèse de L’Ombre de Venise fut simplement le dessein de capter un moment de ce dialogue intérieur qui accompagne mes promenades. Je suis, en effet, comme Powys, un écrivain du grand air… Quant au combat, c’est un combat contre l’abrutissement, l’inertie, le ressentiment, un combat contre l’indifférence et l’oubli qui nous menacent à chaque instant. Un combat contre le travail et contre la distraction, un combat pour l’otium. Un combat pour la possibilité d’être dans un corps, une âme et un esprit, autrement dit un combat pour la multiplicité des états de la conscience et de l’être. Tout, dans le monde moderne, semble vouloir nous réduire individuellement et collectivement à un seul état de conscience plus ou moins harassé, hypnotique, triste et morose. Il s’ agit de s’éveiller, de reprendre possession des biens qui nous sont offerts, à commencer, par notre pouvoir d’énonciation de ce beau cosmos miroitant qui nous entoure. La morale procustéenne dispose de mille ruses pour nous affaiblir, j’écris pour en déjouer quelques unes. D’où l’importance de l’œuvre de Nietzsche, qui inspire ces déambulations vénitiennes, exhortations à « l’éternelle vivacité » que nous préférons à la « vie éternelle ».
Vous évoquez à chaque page le réenchantement du monde, et même une ferveur païenne. Qu’entendez-vous par ce paganisme… aux accents souvent taoïstes ?
Il y eut, aux dernières décennies du siècle précédent, un fort courant « philosophique », prônant le « désenchantement du monde ». Ces philosophes associaient l’enchantement à la barbarie, l’un d’eux n’hésitant pas à écrire, je cite : « Critiquer la technique au nom de la poésie de la nature est une barbarie » ! On voit bien ce qu’un philosophe héritier des Lumières peut trouver à redire aux enchantements. Mais ces ensorcellements obscurs, cette défaite de la Raison, cette capitulation de l’entendement devant des puissances ténébreuses me semblent bien plus, désormais, le fait de la Technique que d’une « poésie de la nature ». Autrement dit : la conscience humaine, avec ses vertus classiques, ou pour ainsi dire « humanistes », est aujourd’hui bien plus directement menacée par l’hubris technologique, avec ses folies génétiques et ses réalités virtuelles, que par les héritiers de Jacob Böhme ou de Novalis.
L’idée que l’enchantement et l’entendement humain soient exclusifs l’un de l’autre est des plus étranges. Ces dieux et ces mythologies chasseresses dans les jardins royaux, les Contes de Perrault, et, plus proche de nous Jean Cocteau, dans ses œuvres littéraires et cinématographiques, témoignent de l’alliance heureuse entre l’esprit décanté, usant des pouvoirs de la raison et l’enchantement immémorial. Toute pensée naît, pour reprendre l’expression de René Char, d’un « retour amont ». Aux antipodes des philosophes du désenchantement, nous trouvons donc les taoïstes, épris de ces « randonnées célestes » propices aux belles lucidités : « Après la perte du Tao, écrit Lao-Tzeu, vint la vertu. Après la perte de la vertu, vinrent les bons sentiments. Après la perte des bons sentiments vint la justice. Après la perte de la justice restèrent les rites ». Ainsi nous est donné à comprendre, pour nous en garder, le triomphe des écorces mortes : le fondamentalisme moderne et la modernité fondamentaliste qui se partagent le monde.
L’enchantement, loin d’être le signe d’une dépossession ou d’une régression est le signe d’une recouvrance. C’est au moment où nous nous approchons du sens que le monde s’irise et s’enchante. Nous désirons un monde clair, et le mot lui-même renvoie d’abord au son, avant de dire la lumière ou la raison. C’est d’un chant que naît la clarté, comme le disent les poèmes d’Hölderlin. Un monde désenchanté est un monde obscurantiste, « qui ne rime plus à rien », un monde sans voix, ou dont les voix sont couvertes par « le vacarme silencieux comme la mort ».
Entretien complet :
http://archaion.hautetfort.com/archive/2007/06/04/rencont...
Golo Mann on the Conservative Revolution in Germany
Golo Mann on the Conservative Revolution in Germany
Fergus Cullen
Ex: https://ferguscullen.blogspot.com
Golo Mann’s discussion of the Conservative Revolution in The History of Germany since 1789 (Penguin, 1985) begins with Oswald Spengler, whose positions (anti-Hohenzollern, socialist, anti-progressive, militarist…), mark the beginning of a novel movement, “overthrowing conventional ways of thinking in politics.” For Mann, the C.R. is “confused,” a “strange combination of words,” and yet somehow, perfectly simple: Conservative Revolutionists “rejected not certain aspects of the Republic but the whole of it, and the whole present; they […] wanted to ask completely new questions and offer completely new ideas” (p. 620).
Their temperament was unsuited to parliamentarism or the new international order, though suited to poetry and the formation of groupuscules (pp. 620–1). Mann provides a perfect, lapidary, aphoristic précis of “the conservative-revolutionary attitude” (Mohler): “They wanted a new Reich without party squabbles, a Reich of the young and of masculine virtues, a great, proud gathering around a camp-fire instead of the capital Berlin. They expected much more from the modern state than it can give them at the best of times” (p. 621). Here we have their anti-parliamentarism, the spirit of the Freikorps (“the Ideas of 1914”), the bündisch spirit. And of course “the best of times,” measured by “quality of life,” which strikes them as the coming of the Last Man: see Leo Strauss on “German Nihilism” Interpretation, 26.3 (spring, 1999), specifically p. 360.
I believe that a thorough investigation, from the perspective either of the histoire des sensibilités or des mentalités, or of the history of ideas, can reveal, and indeed all but has revealed, a conservative-revolutionary essence that is anything but “confused”; but Mann specifies the nature of this “confusion,” at the level of sensibilité, through the case of Ernst Jünger: “We cannot know, and he probably did not know himself, what he wanted, what he feared with compassionate sensitivity and what he only pretended to want. The doubts which tortured his fine mind he hid behind the mask of the inflexible writer-officer who gives his readers orders” (p. 621).
Mann’s is a peculiar though understandable position: Klemens von Klemperer misrepresents him as sceptical of C.R.’s validity as historical category (Klemperer, Central European History, 30.3 [1997], p. 458); but it is rather that, for Mann, the sensibilités and mentalités of a clearly definable current strike him as confused: “one’s head reels in dealing with it” (p. 622). Mann does not quite succeed in making a case for confusion, so to speak. He asserts “an unusual confusion of aims”; the reader is to understand that their “hyper-modern view” and classical “absence of emotion,” “hardness and brittleness” are at odds with their romantic, neo-mediaevalist idealisation of the Hohenstaufen, etc. (ibid.). I repeat my formula in return: conservative revolution is an abstraction and radicalisation of conservative principles necessitated by the completion of (“early”) modernity with industrialisation and democratisation, and the arrival of (“proto-”) postmodernity. (See my previous notes on Stefan Breuer and Panagiotis Kondylis.)
Mann says that for the Conservative Revolutionists, “ideas, of which there was an abundance in Germany, were less important than character, activity and life” (ibid.). Two elements. First, as Kondylis describes, with the intensification of modernity, ideas, ideology, discourse, reason, etc., in the contemporary understanding of these terms, become the more and more the medium of politics. This is perhaps a characteristic of “the best of times”: a shift away from force and towards at least the appearance of reason. Second, in revolting against these “best” of times, Conservative Revolutionists at least make an appearance of disdaining ideas, ideology, discourse, reason, etc.; but again, as Kondylis describes, this was a “purely polemical abhorrence”; “only theoretically could the idealised description of a ‘healthy’ and ‘organic’ society be made which is not created by abstract theories, nor does it need them.”
Finally, Mann describes succinctly and helpfully how party politicians like von Papen tried to “woo” these troublesome young anti-parliamentarians, and how, with economic crisis and the failure of the party system, alliance between Conservative Revolutionists and the “average Conservative” was “much talked about”; but how ultimately “[i]t was absorbed and ruined by the real, anything but ‘conservative,’ revolution which now began in earnest” (p. 623)—National Socialism, that is. Mann does not elaborate on this “absorption”; but two camps emerge in the literature. For the professed Conservative Revolutionists Rauschning and Mohler, C.R. and N.S. are quite distinct, even if there were moments of collaboration, and ultimately defection. For Leo Strauss, whose own relationship to the movement is ambiguous, both C.R. and N.S. are expressions of an underlying current of “German nihilism.”
Postscript. On Nietzsche: “Balanced essays were replaced by aphorisms, thrown out like orders” (p. 397). Compare this to his characterisation of Jünger (“orders”). Mann does not deal with Nietzsche as proto-Conservative Revolutionary. He dispenses with C.R. as Nietzscheanism with a disparaging tacit allusion to Baeumler (p. 402). But his choice of the same word in these instances implies the continuity. Part of that continuity is Nietzsche’s and the latter right-Nietzscheans’ rejection of discourse: a meta-discourse about, and sceptical of the use of, discourse.
Les Maîtres Invisibles : L’Europe dans le labyrinthe de la spiritualité asiatique (1900-1945)
Les Maîtres Invisibles : L’Europe dans le labyrinthe de la spiritualité asiatique (1900-1945)
Entretien avec Richard Raczynski, auteur de Les Maîtres Invisibles, Dualpha, collection « Insolite », 230 pages, 27 euros.
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul).
Cet essai décrit la personnalité très atypique du peintre allemand Bô Yin Râ (Joseph Anton Schneider-Franken, 1876-1943), véritable fil conducteur d’une période de fascination pour une forme de mysticisme asiatique sublimé, allant des années 1900 jusqu’à la fin du second conflit mondial. On y découvrira un exotisme magique prenant ses sources au Tibet, en Inde, en Mongolie, en Chine, au Japon, en Russie, s’incarnant dans des références et des expressions cultuelles parfois déroutantes.
Que recouvre dans votre essai l’expression « Maîtres Invisibles » ?
La colonne vertébrale de cette étude s’appuie sur la personnalité très atypique du peintre allemand Bô Yin Râ (Joseph Anton Schneiderfranken, 1876-1943), véritable fil conducteur d’une période de fascination pour une forme de mysticisme asiatique sublimé, allant des années 1900 jusqu’à la fin du deuxième conflit mondial.
Dans ce cadre, tous les supports furent utilisés pour promouvoir une spiritualité « exotique » non dénuée d’arrière-pensées le plus souvent hégémoniques.
Religions revisitées au profit de volontés impérialistes (Royaume-Uni, Chine, Japon, Russie, Allemagne, France) grands récits de voyageurs à la solde de services étrangers, scandales politiques sur fond de manipulations.
Là où notre époque moderne s’exprimerait de manière verticale voire horizontale, cette étude s’articule plutôt depuis une analyse en diagonale, ne rentrant pas dans des schémas standardisés.
C’est-à-dire ?
L’époque décrite échappe en partie à notre analyse moderne. Elle revêt une attirance pour l’irrationnel prenant ses sources au Tibet, en Inde, en Mongolie, en Chine, au Japon, en Russie, s’incarnant dans des références et des expressions cultuelles parfois déroutantes (à l’image de la religion Bonpo), faisant émerger d’étranges leaders charismatiques.
L’une des différences les plus notables avec notre époque d’intense communication, réside dans l’anonymat (revendiqué) de ces « guides invisibles », restant par nature toujours à identifier et dont les pensées essaimèrent ensuite dans de multiples associations spiritualistes européennes.
De nombreux personnages, aux profils très différents viennent s’entrecroiser dans cette étude, citons : Rudolf von Sebottendorf, Piotr Badmaïev, Robert Nicolas Maximilien von Ungern-Sternberg (dit le Baron fou), le Lama Chao Kring, Teddy Legrand, Jean Marquès-Rivière, Nicolas Roerich, Alexandra David-Néel, Helena Blavatsky, Ferdinand Ossendowski, René Guénon, Saint-Yves d’Alveydre, Basil Zaharoff, Hiraoka Kotarō, Takeuchi Kiyomaro.
Des protagonistes à retrouver dans les chapitres suivants : Le Grand Orient de Patmos, L’évocation de Bô Yin Râ dans la presse française, E.B.D.A.R. Ermächtigte Bruderschaft der Alten Riten, La Franc-Maçonnerie de Joseph Schneider-Franken, L’envoyé de la Grande Loge Blanche, Teshu-Maru, Le Grand sanctuaire, La secte Amatsu kyo, Kala-Nag, le « serpent noir », La Russie, terre de Shambhala ?, Le Royaume du Prêtre-Jean, Les Mystères du Dragon, Le Tibet de tous les avatars.
Entretien avec Richard Raczynski, auteur de Les Maîtres Invisibles, Dualpha, collection « Insolite », 230 pages, 27 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.
La grande glaciation économique

Cette étrange synthèse entre communisme et nation
Cette étrange synthèse entre communisme et nation
Par Ambrogio Lusardi
Sur Ernst Niekisch (25 mai 1889 - 23 mai 1967)
Ex: http://www.centrostudilaruna.it
Il y a des zones d'ombre dans l'histoire que l’on ne raconte généralement pas; peut-être à cause de la difficulté de les étiqueter, de les insérer dans des schémas préconçus qui facilitent, pour les utilisateurs d'un tel code (les masses), la compréhension de la réalité comme mythe : la réalité de la lutte métaphysique du XXe siècle, la lutte du Bien (l’antifascisme sous ses diverses formes, même si les communistes, et surtout les staliniens, étaient partiellement dénigrés dans ce contexte) contre le Mal (le sulfurisme nazi, satanisé à souhait avec queue velue et ratomorphe, fourche brandie).
Ceux qui, pour une raison ou une autre, sont sortis de la Seconde Guerre mondiale en faisant partie du camp des vainqueurs, ont surtout diabolisé la "question nationale" : en bref, il est normal de chanter l'hymne national pour se donner une miette de patriotisme, mais sans jamais exagérer. La libre circulation des biens et des personnes, qui concerne toujours les marchandises, ne peut être entravée.
Parmi les vainqueurs, en particulier les gauchistes, les idées de patrie et de nation, sous toutes leurs formes, sont aujourd'hui plus que jamais combattues. Et ce n'est pas nouveau, pour vous dire la vérité. Et pourtant, il fut un temps, dans le chaudron idéologique et révolutionnaire bouillonnant de la République de Weimar, quelqu'un tenta l'audacieuse entreprise de combiner sérieusement le communisme et la nation.
Un livre récemment publié - National Bolshevismo - Uomini, Storie, Idee de Marco Bagozzi (Noctua Edizioni) raconte ce cheminement hérétique, inconnu de la plupart des gens. Bagozzi nous promène des hypothèses émises par les intellectuels "révolutionnaires conservateurs" sur le caractère "national" de la révolution bolchevique, pour nous amener aux principaux auteurs du courant idéologique dont question : en particulier à Ernst Niekisch et aux frères Ernst et Friedrich Georg Jünger, qui ont collaboré assidûment à la revue "Widerstand" (Résistance) de Niekisch. Ce dernier est né politiquement en tant que socialiste ; il avait été fasciné par la révolution russe, avait lu Marx et rejoignit bien vite la SPD (le Parti social-démocrate allemand).
Bagozzi écrit que "Niekisch admirait tout ce que les intellectuels marxistes abhorraient à propos de l'Union soviétique : la volonté de produire et de défendre la Patrie, la consolidation héroïque de l'État, l'attitude guerrière et aristocratique des classes dirigeantes". Le thème fondamental de sa production intellectuelle réside également dans la polémique anti-occidentale et anti-latine (en fait, singulièrement similaire à celle formulée par un "latin" contre-réformiste, hostile à l'Europe libérale et "moderne", Curzio Malaparte), au nom de laquelle il espère toujours une alliance avec l'Union soviétique "asiatique" et "barbare". Grâce à une telle alliance, l'Allemagne devrait retrouver ses racines, sous le signe d'un "bolchevisme prussien", et créer un bloc géopolitique radicalement opposé au monde occidental, capitaliste, libéral et bourgeois,individualiste.
Pour avoir écrit un pamphlet anti-hitlérien, Hitler, une fatalité allemande, et pour ses activités politiques à la fin des années 1930, il fut condamné à la prison à vie, et ne fut libéré qu'à la fin de la guerre ; il rejoignit ensuite la RDA, dont il se détacha par la suite.
Les articles des frères Jünger publiés dans le magazine Niekisch sont également intéressants.
Friedrich Georg théorisa, dans les pages de "Widerstand", un état qui devait être "la quintessence du pouvoir maximum, absolu, transformé en un organisme, dont la croissance et le renforcement justifient tout critère, même le plus violent, le plus cruel". Il a également soutenu la nécessité de "détruire toutes les formes politiques de capitalisme" et de construire le "socialisme allemand", "en brisant le pouvoir de l'argent".
Le plus célèbre des deux frères, Ernst, pour sa part, a décrit le futur État comme « national, social. et militaire ». Et il sera articulé sous une forme « autoritaire ». Il considérait les "nouveaux nationalistes" comme des révolutionnaires "sains, véritables et impitoyables ennemis de la bourgeoisie". A retenir, dans ce contexte, sa célèbre phrase : "Devant la figure du Travailleur, il n'y a pas de place pour le bourgeois", tirée du texte important de 1932 intitulé Le Travailleur, qui fait le duo avec autre texte bref mais dense, La Mobilisation totale.
Dans le livre de Bagozzi, on retrace également l'histoire d'autres intellectuels mineurs du courant étudié : Paetel, Winning, Lass, Boysen ; et on raconte les expériences "bolcheviques nationales" des factions communistes et national-socialistes allemandes, telles que les nationaux-communistes hambourgeois Wolffheim et Laufenberg, les frères Strasser et les SA. Un livre recommandé pour ceux qui veulent explorer les possibilités cachées de l'histoire, et sa "zone d'ombre".
Un dossier théorique sur l'Europe des ethnies
Un dossier théorique sur l'Europe des ethnies
Par Carlos X. Blanco
Ouvrage collectif : La Europa de las Etnias. Construcciones teóricas de un mito europeísta[EAS, Alicante, 2020]
Les éditions EAS viennent de publier un volume intitulé La Europa de las Etnias. Construcciones teóricas de un mito europeísta [EAS, Alicante, 2020]. C'est un ouvrage collectif très précieux pour l'étude du régionalisme européen, qui contient un large éventail de contributions. Cependant, la sélection n'est pas complète. Et je le dis d'emblée : il manque certains des grands penseurs traditionalistes espagnols, ensuite, la tradition carliste y est absente. Les figures marquantes (mais peu connues) du régionalisme traditionnel ou du foralisme font défaut : Vázquez de Mella, Elías de Tejada... Il est vrai que le carlisme et le traditionalisme régionaliste espagnol ne s'inscrivent pas très bien dans un concept d’ « Europe des ethnies » puisque ces courants hispaniques, les nôtres si souvent oubliés, subordonnent les langues vernaculaires, leurs propres chartes, l'historicité des territoires et leur pluralité ("Las Españas") à une loyauté envers le Roi légitime, à une obéissance à la Loi naturelle et à une stricte observance de la Doctrine catholique, et l'"ethnicité" y est comprise comme un fait historico-politique plutôt que bio-culturel, sans toutefois exclure complètement et nécessairement cette dernière facette.
De la conception forale et pluraliste de la pensée hispanique traditionnelle émerge une idée de base : il existe en Espagne diverses ethnies, progressivement impliquées dans un processus convergent et synthétique : l'Hispanidad. Il y a aussi une revendication de la diversité et des autonomies (et non les horribles "autonomismes" d'aujourd'hui) en vertu de circonscriptions historiques (nos royaumes et principautés qui forment la couronne d'Espagne) ; nos ethnismes hispaniques sont surtout très hostiles au jacobinisme libéral importé et imposé. À mon avis, un auteur hispanique traditionaliste aurait pu apparaître dans les titres. Dans le livre, les références à l'ethnicité ne manqueraient pas (entendue, je le répète, dans un sens qui n'est jamais raciste, puisqu'un catholique ne peut l'être, mais historico-politique et territorial).
Il existe un certain nombre d'articles d'origine française, ou émanant de pays francophones. Beaucoup d'entre eux sont des auteurs qui peuvent être englobés dans la "Nouvelle Droite" ou la pensée identitaire européenne plus actuelle (Robert Steuckers, Georges Feltin-Tracol). D'autres auteurs sont issus de la pensée fédéraliste et régionaliste française (Guy Héraud). Il y a aussi des études et des commentaires d'auteurs plus anciens mais d’un passé proche ; il s'agit de divers textes consacrés à certains des "pères" de la pensée régionaliste et ethniste identitaire (notamment les travaux de et sur Saint Loup, c'est-à-dire Marc Augier).
Dans la France jacobine et centraliste, où le républicanisme d'extraction révolutionnaire a toujours été un boulet et un système de prison intellectuelle pour les auteurs régionalistes, il est très méritoire de planter le drapeau des "petits pays" ou des pays "charnels". La diversité a presque toujours été écrasée dans le pays voisin depuis 1789, et ils prévoyaient le retour de ces patries apatrides au milieu d'une crise galopante de l'État-nation au XXIe siècle. Ils sont une source d'inspiration face à la nécessité de retrouver une force ethnique dans chaque territoire européen face aux dangereux mixages en cours et face à l'invasion afro-arabe, face au multiculturalisme obligatoire. Ce sont des questions intellectuelles majeures qui convergent dans cette rencontre avec la force ethnique des groupes et des territoires. Ce livre est très bon car il propose des documents traduits pour l'étude, quelle que soit la position adoptée par chacun.
C'est, en somme, une œuvre collective qui ne peut laisser personne indifférent.
Le jacobin centralisateur, défenseur d’un État-nation homogène et unitaire, sera toutefois irrité. L'Europe apparaît systématiquement dans le texte non comme un ensemble d'États jacobins mais comme une Europe des ethnies.
Les nationalistes séparatistes ("fractionnaires", comme les élèves de Gustavo-Bueno aiment à le dire) ne verront pas non plus d'un bon œil certaines des propositions faites dans l’ouvrage. Il se trouve qu'une grande partie des nationalistes séparatistes, ceux qui défendent un droit à l'autodétermination de leur "nation sans État", se qualifient d'"internationalistes". Cependant, utilisant des méthodes violentes ("combat de rue" et terrorisme plus ou moins intense) et invoquant des critères ethnicistes pour se séparer d'un "État-nation vu comme prison des peuples" et d'une ethnie prétendument oppressive (c'est le cas des "abertzales" basques et des "cuperos" et républicains de l'Esquerra catalane), ils accueillent et recrutent tous les étrangers, quelle que soit leur religion, langue et couleur tant qu'ils apprennent leur langue vernaculaire et acceptent d'être citoyens d'une nouvelle petite république non espagnole. Ils méprisent le frère espagnol et se donnent avec amour au nouveau venu. Le séparatisme espagnol de certains Basques et Catalans participe du même ridicule conceptuel que le nationalisme hispanique étroit qui ne revendique que les taureaux, la chèvre de la Légion et la chansonnette "que-viva-Espana" de Manolo Escobar. Le séparatisme abertzale ou catalaniste est ethniciste quand il s'agit de rejeter le reste des Espagnols, mais devient internationaliste quand il s'agit d'enregistrer et de nationaliser le premier être humain qui, sans un seul papier en ordre, passe par la nouvelle république "en construction". Il s'agit d'une simple "souveraineté" artificielle, et non d'un véritable nationalisme identitaire.
Ce ne sera pas non plus un livre au goût du régionalisme conservateur classique et, comme on l'a dit par le passé, du régionalisme "sain". Par "sain", on entendait dans la droite espagnole et dans le régime franquiste ce type de fierté identitaire pour les traditions folkloriques et les expressions parfois banales d'une province et d'une région. Au Valencien, sa paella, à l'Asturien son cidre et sa fabada, au Catalan la butifarra. Un régionalisme sous-développé et limité au niveau des danses et des costumes régionaux, très stylisé et préservé, mais avec pas mal de déformation, dans l'Espagne unitaire de Franco.
Les réductionnistes linguistiques, qui sont légion en Espagne, n'aiment pas non plus parler d'ethnies. Ces personnes, outre les indicateurs génétiques et somatiques clairs qui identifient les cultures aux races, s'accrochent à la langue comme seul facteur réellement différenciateur, que ce soit à des fins d'autonomie ou dans un but clairement indépendantiste. Ainsi, l'ethniciste catalan, généralement doté d'un phénotype méditerranéen qui est le plus commun dans cette zone du sud de l'Europe, indissociable en tout point de tout autre espagnol "standard", fait valoir son identité linguistique comme seule ressource différenciatrice ; une identité qui, soit dit en passant, est commune avec celle que possèdent les Valenciens et les habitants des Baléares ainsi que de nombreux habitants du sud de la France. L'existence d'une langue catalane est la seule façon pour les séparatistes de parler d'une "nation catalane", qui n'a pas existé politiquement tout au long de l'histoire. À l'autre bout du charabia centrifuge espagnol se trouve le cas des Asturies, où l'on trouve - comme c'est typique du nord de la péninsule - certains des génotypes les plus anciens d'Europe (il faut toujours laisser de côté le flot de population étrangère récente qui s'est accumulé dans les villes) et où l'on trouve des preuves de l'existence du premier royaume chrétien indépendant sur la péninsule après l'invasion mahométane.
Dans la Principauté des Asturies, la puissance de sa propre langue vernaculaire (et, comme le catalan, pas exclusive non plus, puisqu'elle est également parlée à León, à Zamora et, plus faiblement, dans les Asturies de Santillana) est une puissance bien moindre, moins efficace comme élément de mobilisation des revendications indépendantistes. Les réductionnistes linguistiques pensent que les Asturies ont leur propre langue et qu'il y a aussi une conscience ethnique ; cependant, il y a beaucoup moins de revendications séparatistes dans les Asturies qu'en Catalogne. Mais, bien que beaucoup de gens soient offensés en l’entendant, la Catalogne est une région beaucoup plus "espagnole" au sens habituel du terme, un sens étranger au réductionnisme linguistique, et très espagnole en termes de paysages, de coutumes, de phénotype, etc. Les réductionnistes linguistiques auront toujours du mal à établir des équations entre la langue et l'ethnicité. Les nationalistes asturiens seront donc toujours condamnés à l'échec et au discrédit international en fondant leurs revendications exclusivement sur la bable et la cornemuse, avec des éléments identitaires plus nombreux et plus forts dans la Principauté : don Pelayo, Covadonga, le royaume des douze rois Caudillos... des éléments strictement historiques qui parlent de la lutte entre les civilisations (les civilisations celto-romaine, germanique et chrétienne des rois d'Oviedo contre la Morisma, des éléments objectifs de l'histoire politique (la création médiévale d'un État qui est, en outre, le germe ou la "mère" des autres royaumes hispaniques). Dans les Asturies, il n'y a pratiquement pas de nationalistes (si l'on excepte les figures isolées telles un Xaviel Vilareyo), mais il y a beaucoup plus d'ethnies au sens global, tandis qu'en Catalogne, il y a plus qu'assez de faux nationalistes, car ce n'est qu'avec leur propre langue et la biretta, et en ignorant leur période de pouvoir, qu'ils ont réussi à conditionner la politique et l'économie du reste du peuple espagnol.
Il en va de même pour l'anomalie basque. À la mort du Caudillo, la langue était plus morte que la bable, dans une Espagne où le bilinguisme et le nationalisme (de type celtique) n'étaient paradigmatiques dans leur pureté que dans le cas de la Galice. Les Basques n'avaient jamais formé d'unité politique, comme les Asturiens l'avaient fait, malgré la folie hallucinatoire de Don Sabino, folie qui créa le PNV. Une ethnie dispersée dans les territoires castillans, navarrais et français qui se sont également regroupés politiquement après la Seconde République, pour former une "nation" selon des critères de réduction linguistique, suivant la ligne purement romantique du nationalisme politique, qui commence toujours par la culture.
Le mot "ethnicité" et la conception ethnique de l'Espagne ou de toute l'Europe suscitent également des réticences parmi les nationalismes "historiques". Pour beaucoup de gens, seule l'histoire est la mère de tous les peuples. Bien sûr, dans l'histoire, la contingence règne : un mariage de rois, une répartition capricieuse des richesses, une invasion qui n'est pas entièrement rejetée, un traité ou un destin aventureux peuvent provoquer la division ou la fusion des peuples. La nation espagnole est le fruit de l'histoire, et si quelque chose a été fait pour unir ses différents groupes ethniques, c'est bien son unité politique, une unité qui a été, depuis le XVIe siècle, une unité d'armes et de langue, et seulement très lentement un concert de lois et de juridictions.
Il est indéniable que l'Espagne est l'une des plus anciennes nations politiques d'Europe, même s'il faut noter qu'en raison de sa composition impériale, elle a toujours été, du début à la fin, un système de nations ethniques, et le jacobinisme n'a jamais été efficace sur notre sol. Et ce ne sera jamais le cas.
Et maintenant, revenons au livre que la maison d'édition EAS vient de publier. Constructions théoriques d'un mythe européiste, et c'est une bonne occasion de repenser l'avenir européen de l'Espagne. C'est un livre pluriel, avec des perspectives plurielles. Il comprend, comme nous l'avons dit, des textes de Robert Steuckers, George Feltin-Tracol, Guy Héraud, Saint-Loup... Les auteurs sont nombreux et leurs pensées sont assez disparates. Le titre de ce volume collectif coïncide avec un ouvrage de Guy Héraud (L' Europe des Ethnies, orig. 1963), et en fait ce texte, qui apparaît ici, vers la fin du volume, est le chapitre le plus long de tous.
Le point de vue de Héraud est fédéraliste, proudhonien. Il considère que l'Europe est en fait un conglomérat de groupes ethniques qui, au sens le plus large, sont aussi des régions ayant leur propre identité nationale, très souvent associée à leur propre conscience linguistique. Mais le fédéraliste français ne semble pas être un réductionniste linguistique comme le sont les indépendantistes espagnols (qu'ils soient asturiens, basques, catalanistes, galiciens, etc.). Il semble qu'en Europe, le facteur linguistique soit une priorité dans l'ethnicité, au-dessus du facteur biologique - étant donné la fraternité fondamentale de tous les peuples européens, mais il apparaît toujours comme un facteur ajouté à d'autres éléments importants qui définissent une culture nationale. Compte tenu de la série de conflits ethnicistes en Europe (rappelons la tragédie de la Yougoslavie ou la tentative de "nettoyage ethnique" menée par l'ETA et la "gauche abertzale"), la proposition faite par Héraud, il y a des années, semble naïve : par exemple, une série de référendums sur l'autodétermination qui regrouperait démocratiquement et "rationaliserait" le continent selon des critères ethniques. Je crois sincèrement que l'utopie fédéraliste et d'autodétermination de Héraud pourrait finir comme le Rosaire de l'Aurore.
L'écrivain et aventurier français Marc Augier (dit Saint-Loup) est également présenté ici. Augier a cultivé son utopie particulière d'une Europe des ethnies, en identifiant les multiples ethnies, qui ne coïncident pas souvent avec l'État-nation, mais avec les soi-disant "patries charnelles". Inscrit dans un courant non officiellement reconnu par le national-socialisme, qui est celui d'un fédéralisme des ethnies européennes au sein d'une Nouvelle Europe apparue après le triomphe de l'Axe, Saint-Loup a parcouru le continent sur sa moto en "plongeant" dans cette mosaïque de petites patries, dont certaines sont enfouies et aliénées. Dans ses romans, l'auteur et ancien combattant de l'Axe, a rêvé et rêvé de cette hypothétique fédération de régions ethniques que, bien sûr, l'hitlérisme aurait été loin d'approuver en cas de victoire, même si certains hiérarques nazis ont nourri certains objectifs similaires. Saint-Loup proposait une utopie.
La notion de "patrie charnelle", loin des connotations national-socialistes et donc racistes et suprémacistes, a été adoptée au sein de la Nouvelle Droite. Robert Steuckers y réfléchit et, dans le cadre des travaux de cet important penseur belge, nous pensons qu'il pourrait bien être le complément nécessaire à la notion fédérative d'Europe comme Imperium : un pouvoir exécutif central fort dans certaines compétences (défense, planification macroéconomique...) mais qui respecte en même temps l'hypothèse d'un principe de subsidiarité.
Si nous voulons que l'identité européenne, et espagnole, se renforce face à l'invasion du Continent et face à la Mondialisation, il est bon que notre noyau le plus intime ou le plus "charnel" de la patrie récupère et acquière une nouvelle sève. Un livre intéressant et une grande initiative éditoriale.
Pour commander l’ouvrage :
Préface au livre "Guerre ideologica" de Jorge Sànchez Fuenzalida
Robert Steuckers:
Préface au livre "Guerre ideologica" de Jorge Sànchez Fuenzalida
GUERRA IDEOLÓGICA, Subversión y emancipación en Occidente
Jorge Sánchez Fuenzalida
€21,95
Comme son titre l’indique, cet ouvrage de Jorge Sànchez Fuenzalida traite d’un phénomène de plus en plus patent : la guerre idéologique qui est menée à travers le monde contre les peuples d’Europe, ou de souche européenne s’ils vivent en Amérique. Cette guerre idéologique, qui est une « guerre hybride » ou une « guerre de quatrième dimension » vise à détruire l’homme européen ou occidental, en dissolvant ses réflexes innés, ses certitudes héritées d’innombrables générations antérieures. Ce processus a été amorcé il y a longtemps : la révolte iconoclaste dans les Pays-Bas, qui connaîtra son apogée en 1566 quand se sont ébranlés les casseurs depuis leurs bases initiales du Hainaut méridional (aujourd’hui français), est la première manifestation de cette volonté, désormais récurrente de briser les ressorts de notre culture naturelle et spontanée. Ces casseurs hennuyers migreront vers les actuels Pays-Bas et, de là, vers l’Angleterre, qui sera marquée de leurs folies jusqu’au paroxysme de l’époque cromwellienne. La restauration post-cromwellienne les chassera vers l’Amérique, où la furie calviniste prendra des contours spécifiques, génèrera dans le psychisme américain ces fureurs destructrices et bellicistes que nous subissons aujourd’hui, que ce soit le fait du Pentagone ou de l’Etat profond ou que ce soit le fait des militants antiracistes (autoproclamés), des féministes délirantes ou des casseurs antifa qui provoquent, aujourd’hui, une sorte de « révolution orange » non exportée, sévissant sur le territoire américain lui-même.
Le spectacle de ces fureurs destructrices rend parfaitement visible le processus d’autodestruction et d’autodissolution de l’homo europaeus, en Amérique du Nord d’abord, en Europe ensuite. La lutte planétaire contre les amorces premières de cette pandémie théologico-idéologique fut une guerre dure et katéchonique menée par les rois Philippe II et Philippe III principalement, de la fin du 16ème siècle aux premières décennies du 17ème et seront suivies par les calamités de la guerre de Trente Ans. La politique est philosophie appliquée, nous rappelle Jorge Sànchez Fuenzalida : j’ajouterai que dans ce travail gigantesque de sape visant les assises du monde spirituel et matériel né en Europe, la théologie hypersimplifiée, caricaturale des descendants des casseurs de l’été 1566 est aussi politique mais politique apocalyptique et non katéchonique. Les casseurs de l’été 1566 ont pour descendants les puritains embarqués sur le Mayflower, les anciens esclaves afro-américains convertis à cette caricature de religion, les militants LGBT ou antifa qui sont retournés sans le savoir à ces simplismes destructeurs pseudo-théologiques et ont pour alliés les révolutionnaires institutionnalisés de facture franco-jacobine et, surtout, les wahhabites de la péninsule arabique, leurs élèves salafistes d’Afrique du Nord ou d’ailleurs. L’ensemble de ces filons constitue un cocktail explosif dont on se sert pour détruire une culture/civilisation : où que l’on soit dans l’espace occidental, dans l’américanosphère atlantiste, les processus de dissolution s’opèrent par l’intervention violente de l’un ou de l’autre de ces avatars de l’iconoclasme, apparu initialement dans le Comté du Hainaut, sous le règne de Philippe II.
Cette alliance est subtile, apparemment inexistante, jamais explicitée comme telle dans les médias, toujours téléguidés depuis les officines du Deep State qui porte la marque indélébile du puritanisme des pèlerins du Mayflower. L’objectif est de modifier tous les substrats anthropologiques nés de l’histoire des peuples, tant au niveau culturel (par l’effacement de l’histoire et de la statuaire qui la remémore) qu’au niveau biologique (en niant la dualité sexuelle de l’espèce humaine). L’objectif est d’imposer cet arasement au monde entier, y compris aux cultures et aux civilisations non abrahamiques, lesquelles semblent, bien sûr, opposer une résilience plus forte, qui est proprement katéchonique, tandis que les forces katéchoniques potentielles de l’espace occidental patinent, paraissent incapables de s’organiser pour mettre fin au pandémonium.
Dans cette optique, le « marxisme culturel », pour reprendre une terminologie propre à la pensée paléo-conservatrice américaine, est un instrument de ce plan apocalyptique qui a pour objectif principal de détruire la base existentielle des familles (au sens large de la communauté des frères et des cousins ou au sens de la lignée, ou au sens restreint de la petite famille nucléaire). Le marxisme tout court, avant qu’il ne soit « marxisme culturel » (sans plus avoir de liens véritables avec la pensée du Marx de chair et de sang), avait déjà sapé les assises anthropologiques de la Russie soviétique et de la Russie d’Eltsine, provoquant un ressac démographique inquiétant, dont les retombées ne sont pas encore effacées. Il faudra l’action d’un Poutine pour tenter de revenir à l’anthropologie saine, base de toute civilisation. Poutine fait là œuvre katéchonique, de même que le Hongrois Orbàn. Tous deux opposent une forme théologico-anthropologique traditionnelle, de facture grecque-orthodoxe ou catholique-romaine, à la forme iconoclaste qui a commencé par détruire les statues et les images avant de s’attaquer, depuis quatre ou cinq décennies, aux fondements bio-ontologiques de l’homme, tel qu’il est. A cet homme, tel qu’il est, l’iconoclasme postmodernisé pose un homme autre, tel qu’il doit être, au nom de retentissantes élucubrations, vidé de toute substance, dé-genré, amnésique et dénaturé. L’idéologie des droits de l’homme, dans cette optique, n’est plus l’idéologie qui accorde des droits au citoyen d’une Cité, au zoon politikon qu’est l’homme selon Aristote, mais la nuisance idéologique qui sert à promouvoir un homme, un homonculus, tel qu’il n’est pas d’emblée au sein du cosmos mais tel qu’il est anarchiquement défini par tout un éventail de déments théologico-idéologiques.
Le « marxisme culturel », en ce sens, est un « marxisme dévoyé », dont le dévoiement s’est opéré au fil des décennies depuis la rédaction, par Karl Marx, du « Manifeste communiste » de 1844. A la dose de messianisme irréaliste que ce marxisme des origines recelait, dès le départ, en son sein, on a ajouté une belle collection de nuisances idéologiques, souvent tirées des « socialismes utopiques » (que Marx moquait), de formes les plus débiles de rousseauisme, dont les avatars, au 20ème siècle, furent la mode hippy et les marottes extraites du livre d’Herbert Marcuse, « L’Eros contre la civilisation », où la jouissance, non créatrice et consommatrice, doit, par un travail dissolvant et constant, déconstruire les fondements de la civilisation. D’autres, comme Foucault ou Derrida, exposants de la « French Theory », parleront carrément de « déconstruction », discours dissolvant pris à la lettre par leurs élèves américains, marqués, consciemment ou inconsciemment, par le mauvais esprit des casseurs de 1566 et des pèlerins du Mayflower. L’éros marcusien, la déconstruction de Derrida, la jouissance sans entraves de Foucault sont autant d’ingrédients nouveaux, qualifiés de modernes et de progressistes, que le vieux fond iconoclaste va mobiliser pour poursuivre son œuvre destructrice. Nous avons là les éléments idéologiques du festivisme soixante-huitard. A ceux-ci s’ajouteront, une décennie plus tard, les éléments dissolvants du néolibéralisme que l’on peut résumer par le slogan lapidaire de Margaret Thatcher, « There is no society », comme le fit récemment le géographe et sociologue français Christophe Guilluy, brillant analyste des fractures à l’œuvre dans la société française actuelle. L’homme est un être social, un « zoon politikon » et non un individu isolé. En annonçant les « détricotages » sociaux et industriels, le démantèlement des outils industriels et les délocalisations, le néolibéralisme thatchérien et reaganien voulait en finir avec l’Etat, instance à abolir. L’Etat est certes une forme abstraite mais la Cité traditionnelle et aristotélicienne, ou le royaume à base ethnique spécifique ou non, ne l’est pas : de telles cités sont le reflet du cosmos, sur lequel règne Dieu, comme le Roi règne en son royaume et le Dominus en sa domus (opulente ou modeste).
L’idéologie LGBT, le festivisme et le néolibéralisme ont contribué tous trois à démolir les règnes de Dieu, du Roi ou du Dominus dans leurs aires sociales respectives. En dépit des clivages droite/gauche où la droite a été séduite, notamment depuis Chirac en France, par le néolibéralisme et les gauches par le festivisme, en dépit de la xénophilie qui reprenait la fable rousseauiste du « bon sauvage », remplacé par le polisson des banlieues, les faux conservateurs (libéraux ou démocrates-chrétiens), séduits par le thatchérisme, et les socialistes festivistes/xénophiles sont étroitement alliés dans leur abominable travail de sape des assises anthropologiques et même bio-ontologiques de notre civilisation. Nozick, en 1974, avant que la calamité thatchérienne ne s’abatte sur l’Angleterre, a bien synthétisé la problématique : l’Etat (et tout appareil juridique romain/augustéen) est un « frein » (à l’éros marcusien, à la libido déchaînée que Cohn-Bendit appelait de ses vœux, aux détricotages de Thatcher, etc.). L’Etat porté par des volontés affirmatrices et constructives n’est plus perçu comme un moteur d’innovation ou d’initiatives de tous genres mais comme un ballast. C’est un a priori des plus contestables.
Le pandémonium mis en scène aujourd’hui, surtout depuis la pandémie du covid-19, a réduit à néant le droit sacré à la libre circulation des personnes et aux relations sociales, surtout en France et en Espagne, a ensuite été suivi par les émeutes antipolicières aux Etats-Unis, après la mort de Georges Floyd, par des scènes de pillage généralisé en Amérique du Nord et en Europe (Allemagne comprise !) et par la profanation orchestrée des statues de Christophe Colomb, Cervantès, Kant ( !), Léopold II, Baudouin I, Bismarck, De Gaulle, Gallieni, Churchill, Victoria, etc. Le Kali Yuga, annoncé par la mythologie indienne et par les penseurs traditionalistes, est là sous nos yeux. Jorge Sànchez Fuenzalida apporte sa pierre à la réponse qu’il convient de donner à cette intolérable situation. Il donne des munitions idéologiques au katechon qui devra venir.
L’iconoclasme destructeur, depuis les fauteurs de troubles de 1566 jusqu’aux antifas et aux indigénistes de France aujourd’hui, est le fruit d’une idéologie de la négation, assénée dans les têtes par les médias et les écoles depuis que s’est installée l’ère soixante-huitarde. Dès Adorno, Horkheimer et les autres figures de l’école de Francfort, on annonçait la couleur : il fallait nier les fondements de toute civilisation, combattre toutes les idéologies affirmatrices, posées a priori comme intrinsèquement « fascistes », saper toutes les autorités, à commencer par celle des pères. Nous vivons aujourd’hui les retombées calamiteuses de cette philosophie agressive et irrationnelle de la négation. Marcuse décrétait que cette négation était « douce », comme le « doux commerce » des économistes puritains, « douces » comme les caresses concupiscentes de jeunes amants immatures, et épiméthéenne (et non « prométhéenne »). Aujourd’hui, nous devons nier la culture dévoyée de la négation, nier la grande négation, revendiquer sans peur la négation de la négation, or toute négation d’une négation revient à une affirmation. Devant le néolibéralisme, qui est arrivé au bout de son rouleau mais a laissé d’innombrables dégâts derrière lui, il faut se souvenir que celui-ci refusait toutes les volontés politiques (affirmatrices par définition), en prétendant rétablir une vieille fumisterie du 18ème siècle : celle de la « main invisible » et du « laissez-faire, laissez-passer », où aucune intervention politique et volontaire n’était plus autorisée et où la délocalisation antiéconomique nous était vendue comme le fin des fins de l’économie : contradiction dans les termes car « oikos », en grec ancien, signifie le « lieu ». Il n’y a pas d’économie réellement économique sans un lieu, stable, non mouvant, dont se préoccupe le Roi ou le « Spoudaios » (selon Aristote) pour le bien de ses sujets. « Oikos » a donné le terme latin « vicus » (village) et le néerlandais « wijk » (quartier dans une ville), voire le suffixe anglais « -wich » (village). L’économie se déploie dans des lieux spécifiques et ne vagabonde pas sans frontières (qui ne sont pas nécessairement étatiques). A l’économie antiéconomique du néolibéralisme thatchérien, il faut rétablir les affirmations régulationnistes et protectionnistes, car elles sont katéchoniques.
« Affirmation » et « volonté » sont d’ailleurs les concepts salvateurs, explicités en fin de volume par Jorge Sànchez Fuenzalida. Ce sont les concepts que j’ai toujours voulu promouvoir dans ma carrière de Cassandre métapolitologue, avec mes camarades Guillaume Faye et Ange Sampieru. Je suis donc heureux qu’un homme jeune, à l’esprit vigoureux, comme l’ami Jorge, reprenne aujourd’hui le flambeau. Je lui souhaite longue vigueur dans ce combat qu’il mène déjà, même si le « Spoudaios » ne pointe pas encore à l’horizon. Devenu un vieillard après plus de quarante ans de combat sans relâche, je vais pouvoir bientôt, sans remords et grâce à des garçons comme Jorge, me coucher sur le flanc, comme une vieille bête, et mourir paisiblement.
Forest-Flotzenberg,
Juin 2020.